mercredi 1 février 2012

Génocide arménien : le vote de la honte



Une majorité de parlementaires français, députés et sénateurs, de droite et de gauche, viennent d'adopter un projet de loi destiné à sanctionner pénalement la négation du génocide arménien. Nicolas Sarkozy et François Hollande se sont tous deux prononcés en faveur de cette loi. Seul parmi les candidats ayant une chance d'être élus Président de la République en mai prochain, François Bayrou s'y est opposé.

Entendons-nous bien : je ne dis pas que cette loi est indigne, même si je n'ai aucune sympathie par principe pour les lois dites "mémorielles", qui me semblent constituer un mauvais usage du pouvoir législatif. Je comprends que, pour certains Français d'origine arménienne, cette loi constitue une sorte de soulagement. Je suis également convaincu qu'il serait souhaitable, et raisonnable, que la Turquie reconnaisse elle-même ce génocide, et que le plus tôt serait le mieux. Ce que je dis, c'est que les motifs qui ont conduit une majorité de parlementaires français à voter cette loi sont indignes.

La réalité des faits

La réalité du massacre par l'Empire Ottoman, en 1915 et 1916, de plusieurs centaines de milliers d'Arméniens (probablement plus d'un million) ne fait aucun doute aujourd'hui. La Turquie d'ailleurs ne le conteste pas.

Au risque de tomber sous le coup de la nouvelle loi française, je n'ai pas d'opinion sur la question de savoir si ce massacre constitue ou pas un génocide (*). Je me contente de constater :
  • que la qualification de génocide de ce massacre a été reconnue par la Commission des droits de l’homme de l’ONU en 1985, mais qu'elle n'a pas fait l'objet d'une décision d'une instance judiciaire internationalement reconnue, comme c'est le cas du génocide juif par le Tribunal Militaire International de Nuremberg
  • que cette qualification a été reconnue par le Parlement français dans la loi du 29 janvier 2001, comme par de nombreux autres pays, sans que cela n'implique, jusqu'à aujourd'hui, de sanction pénale en cas de contestation
  • que cette qualification est contestée par la Turquie - contrairement, par exemple, au génocide des juifs perpétré par l'Allemagne nazie, qui est reconnu comme tel par l'Allemagne d'aujourd'hui.

La légitimité de la loi

Quoi qu'il en soit, la réalité historique est une chose, la légitimité d'une loi et l'opportunité politique en sont d'autres.

Sur la légitimité de cette loi, je ne peux faire mieux que de citer Robert Badinter : " [Dans un régime démocratique] seule l'autorité judiciaire a qualité pour dire si un crime a été commis et quels en sont les auteurs. [...] Seuls les régimes totalitaires acceptent une histoire "officielle" fixée par le pouvoir [...]. Le Parlement français n'a aucune compétence à cet égard et ne saurait s'ériger en juridiction universelle et proclamer par des lois françaises l'existence de crimes qui, pour être historiques, ne relèvent en rien de sa compétence".

L'instrumentalisation politique de la souffrance

En intitulant son billet "la pitié dangereuse", laissant ainsi entendre que nos parlementaires sont en l'espèce motivés par la compassion, Robert Badinter me semble toutefois bien indulgent.

Le fait que cette loi crée inutilement des tensions entre la France et la Turquie, qui l'une comme l'autre n'ont rien à y gagner et beaucoup à y perdre, n'est pas douteux ; mais cela ne me semble pas l'essentiel.

A peu près personne n'a en effet le moindre doute sur la fait que cette loi a été promue, et votée, par des parlementaires de tous bords politiques, pour une seule raison : il y a entre 300 et 500 000 Français d'origine arménienne, et leur vote peut être déterminant.

Autrement dit, nos députés et sénateurs ont instrumentalisé la souffrance de ces hommes et de ces femmes au service d'une seule cause, la récupération politique, en la maquillant honteusement sous le masque de la compassion et de la défense de la vérité historique. Et sans se soucier du moins du monde de la question de savoir si cela pouvait avoir pour effet d'éloigner, au lieu de le rapprocher, le moment où la Turquie reconnaîtrait ce génocide (on peut même imaginer que certains ont envisagé que cela pourrait contribuer à éloigner la perspective de l'entrée de la Turquie dans l'union Européenne).

Comme on pouvait s'y attendre, un groupe de parlementaires vient de saisir le Conseil Constitutionnel pour lui demander de déclarer cette loi inconstitutionnelle. Ainsi, cette loi ne sera sans doute jamais s'appliquée. Les parlementaires concernés auront ainsi gagné le soutien des électeurs d'origine arménienne tout en limitant les conséquences négatives de leur décision sur les relations franco-turques.

Cette mascarade est tout simplement indigne.

Cela pourrait ne pas échapper aux électeurs qu'elle était censée attirer, ni aux autres d'ailleurs.

(*) Selon la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1948, le terme de génocide désigne des actes « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». La Cour pénale internationale y ajoute une mise en œuvre systématique de cette volonté.

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