La campagne présidentielle est lancée. Les programmes des principaux candidats commencent à prendre forme.
Certes, les programmes ne sont pas tout. La personnalité des candidats, leur entourage, leurs alliés, leur passé, les valeurs et les symboles qu'ils portent, la façon dont j'imagine qu'ils exerceront le pouvoir, et qu'ils mettront - ou pas - leurs actes en cohérence avec leurs paroles, tout cela m'importe aussi.
De leurs positions et propositions respectives sur un certain nombre de sujets dépendront néanmoins, en grande partie, mes votes des 22 avril et 6 mai prochains.
Voici donc les questions que je pose aux candidats, et une partie des réponses que j'en attends. En commençant par A, comme Addictions. Et en cheminant dans le désordre alphabétique, selon l'inspiration du moment, en passant par D comme Dette, F comme Fiscalité, I comme Inégalités, ou V comme Valeurs.
Au menu aujourd'hui : A comme Addictions
Ma question
Les addictions sont des armes de destruction massives.
Chaque année, il y a en France plus de 60 000 morts liées au tabac. Deux millions de Français sont en situation de dépendance à l'alcool, près de 4 millions sont considérés comme des consommateurs "à risques". Le nombre de consommateurs réguliers de drogue illicites, cannabis inclus, est estimé à 2,2 millions, et les jeunes Français sont parmi les plus gros fumeurs de cannabis en Europe. Plus de 230 000 dossiers de surendettement ont été déposés en 2011, et les drames liés au surendettement sont de plus en plus nombreux.
Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour prévenir les drames provoqués par les addictions graves, qu'il s'agisse des addictions classiques, à l'alcool, au tabac ou aux drogues, qu'elles soient dites douces ou dures, ou des addictions plus subreptices mais non moins destructrices, au crédit ou au jeu par exemple ?
Mon avis
Toute addiction résulte, me semble-t-il, de la combinaison de trois facteurs : la personne elle-même, et son histoire ; son environnement immédiat, familial en particulier ; enfin, l'ensemble des acteurs économiques - dont l'Etat - qui tirent un profit du commerce, licite ou illicite, des produits concernés.
La loi ne peut rien, ou pas grand chose, sur les deux premiers. Le troisième en revanche relève essentiellement de la responsabilité de l'Etat, et donc du législateur.
Le tabacChaque année, plus de 60 000 décès en France sont liées au tabac : c’est plus que la mortalité attribuable aux accidents de la route, à l'alcool, au sida, et aux drogues illicites réunies. 90% des cancers du poumon, plus de la moitié des cancers de la vessie, sont dus au tabac. Comme le signale le Comité National Consultatif contre le Tabagisme, le tabac est "le seul produit de consommation courante à être responsable du décès de la moitié de ses consommateurs réguliers".
Des mesures ont été prises ces dernières années qui vont dans le bon sens, en particulier l'interdiction de fumer dans les lieux publics.
Je crois que, parallèlement au développement des actions de prévention, en particulier auprès des plus jeunes, il faut au moins poursuivre, et peut-être amplifier, le mouvement de hausse des taxes. On ne peut que regretter par exemple que, à rebours de ce mouvement, le gouvernement actuel vienne de décider que la "TVA sociale" ne s'appliquerait pas au tabac ...
L'alcoolLes effets destructeurs des addictions à l'alcool sur les consommateurs et sur leurs proches sont encore bien plus dramatiques que ceux du tabac. Selon un rapport de la Cour des Comptes de 2003, "cinq à six millions d’adultes [en France] s’exposent à des difficultés d’ordre médical, psychologique et social, du fait de leur consommation d’alcool, et deux millions au moins sont en situation de dépendance."
La "loi Evin" de 1991, en limitant la publicité pour les boissons alcoolisées, a été une avancée importante. Mais, comme le souligne le rapport de la Cour des Comptes cité plus haut, "au cours de la dernière décennie, la lutte contre l’alcoolisme [...] n’a connu en France aucune avancée, bien au contraire. Les dispositions de la loi Evin, notamment celles concernant la publicité des boissons alcoolisées, ont été atténuées, voire vidées de leur sens par des amendements ultérieurs, et les recommandations de la commission d’évaluation de ce texte en faveur de leur réhabilitation n’ont pas été suivies d’effet".
Peu de progrès semblent avoir été accomplis depuis la publication de ce rapport. Il faut absolument qu'un plan sérieux de lutte contre l'alcoolisme soit mis en œuvre, y compris si les mesures prises heurtent de front les lobbies de l'alcool, dont on sait la capacité d'influence sur les parlementaires français.
Le crédit et les jeux d'argentLes addictions au crédit, comme celles aux jeux d'argent, sont moins spectaculaires que celles à l'alcool ou à la drogue. Elles n'en sont pas moins souvent destructrices, et parfois mortelles, tant pour les personnes concernées que sur leur famille. Et l'Etat, là aussi, en porte une part de responsabilité.
Je crois souhaitable l'interdiction, ou tout au moins une réglementation très restrictive, de la promotion de tous les produits ou services susceptibles de provoquer des addictions : c'est notamment le cas du crédit à la consommation et des jeux d'argent. Le surendettement (voir ici) et l'addiction aux jeux d'argent (voir ici) sont responsables de drames auxquels on ne doit pas se résigner : la loi doit encadrer la promotion du crédit et celle des jeux d'argent aussi rigoureusement que celle de l'alcool ou du tabac.
Il me semble également nécessaire de renforcer, pour les personnes ou les entreprises qui promeuvent ou vendent ces services, les obligations liées à la prévention, et les sanctions en cas de négligence dans l'accomplissement des vérifications nécessaires quant à la solvabilité des personnes concernées - même si je suis bien conscient, dans le cas de la distribution de crédit aux particuliers, qu'il y a un équilibre à trouver entre la prévention du risque de surendettement et une restriction excessive de cette distribution, au détriment en particulier des moins aisés.
S'agissant plus particulièrement de la prévention du surendettement, la loi Lagarde du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation a constitué, sans aucun doute, un progrès significatif. Elle est à mon sens encore insuffisante : elle n'a pas empêché le nombre de ménages surendettés de croître de 6,5% en 2011. Elle n'a d'ailleurs pas été conduite à son terme puisque, le 26 janvier 2012, l’Assemblée nationale a rejeté une proposition de loi tendant à prévenir le surendettement par la création d’un fichier national recensant l’ensemble des crédits accordés par les établissements de crédit aux particuliers, alors que ce fichier faisait partie du dispositif prévu par la loi de 2011.
Sur tous ces sujets, tabac, alcool, crédit ou jeu, beaucoup reste à faire. Il faudra notamment savoir résister à la puissance des lobbies qui ont intérêt à ce que rien ne bouge.
Le cannabis et les autres droguesCertains candidats se sont déclarés favorables à une dépénalisation de l'usage du cannabis, au motif notamment (je ne mentionne que le plus sérieux) que cela contribuerait à en réduire le trafic illicite, et la criminalité associée.
L'argument me semble plus que discutable : peut-on croire que ceux qui vivent aujourd'hui du trafic de cannabis n'iraient pas immédiatement rechercher d'autres trafics aussi lucratifs, notamment ceux des drogues plus dures, contribuant ainsi à une aggravation du mal ?
Je crois pour ma part souhaitable le maintien - et une application égale pour tous - des réglementations actuelles réprimant le commerce et l'usage de toutes les drogues, y compris celles dites "douces".
Il est mensonger, voire criminel, de prétendre que l'usage du cannabis est sans effet sur la santé, et notamment sur la santé mentale : même s'il n'y a pas une unanimité totale sur le sujet, nombre de médecins ont constaté au contraire des effets importants sur un certain nombre d'utilisateurs. Il semble en particulier établi que "la consommation intensive [de cannabis] produit des effets sur la santé mentale mais aussi sur le comportement social, [et] conduit à des problèmes de type échec scolaire" (voir notamment le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur l'impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs).
Selon le même rapport, il est également mensonger de prétendre que la cannabis n'engendre pas d'effet de dépendance, en particulier chez les plus jeunes : la proportion de consommateurs qui développent une dépendance est évaluée entre 5 et 10%.
On sait par ailleurs que, même si la plupart des fumeurs de cannabis ne deviendront jamais des héroïnomanes ou des cocaïnomanes, l'usage des drogues dites "douces" facilite de fait le passage aux drogues dites "dures" (là aussi, le risque est estimé à 5 ou 10%).
Si elle était décidée, une dépénalisation de l'usage du cannabis serait immanquablement perçue par les consommateurs, en particulier les plus jeunes, comme la reconnaissance publique de l'absence de nocivité de ce produit : cela ne pourrait que rendre plus difficile la prévention, qui reste indispensable.
Je suis pour ma part convaincu qu'une dépénalisation de l'usage du cannabis se traduirait inévitablement par une augmentation de sa consommation, et donc par un accroissement des risques associés : risques directement liés à cet usage d'une part, risque de dépendance et de glissement vers les drogues dures d'autre part.
Tant que l'on n'aura pas démontré les effets positifs d'une telle mesure en termes de santé publique et de criminalité, ce qui est loin d'être le cas, dépénaliser l'usage du cannabis reviendrait à jouer avec la santé physique et mentale des Français, surtout des plus jeunes, et avec l'équilibre de milliers de familles : en l'espèce, le principe de précaution me paraît s'imposer absolument.
(A suivre)
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