jeudi 19 décembre 2013

Hommage pré-posthume à Jean d'Ormesson




L'inconvénient des hommages posthumes, c'est que ceux qui en sont l'objet ne sont, en principe, plus tellement en état de les lire ou de les entendre, et donc de s'en réjouir. Les oraisons funèbres donnent généralement du plaisir à leurs auteurs ; elles en donnent parfois à leurs auditeurs ou à leurs lecteurs ; mais elles en donnent trop rarement à leurs destinataires : quitte à dire du bien de quelqu'un qu'on aime, il est donc préférable de le faire de son vivant.


Jean d'Ormesson est certes immortel, puisqu'académicien. Pourtant, un jour, il s'en ira: c'est en tout cas ce qu'il semble admettre dans le titre de son dernier livre, Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit, titre emprunté, comme celui de son précédent ouvrage, C'est une chose étrange à la fin que le monde, au magnifique poème d'Aragon intitulé Que la vie en vaut la peine.

Quand je dis "son dernier livre", je veux dire, bien sûr, le plus récent : mais il n'est pas impossible que ce soit bel et bien le dernier. J'ai donc jugé bon de ne pas attendre son passage de l'immortalité d'ici-bas à l'immortalité de l'au-delà pour dire toute l'affection que je lui portais, et de lui rendre cet hommage pré-posthume.

mardi 17 décembre 2013

Haïkus choisis de Kobayachi Issa

Marie-Luce Grasset

 Soir d'hirondelles -
demain encore
je n'aurai rien à faire
-oOo-
 Prépare-toi à la mort
prépare-toi -
bruissent les cerisiers en fleurs
-oOo-

dimanche 15 décembre 2013

Les haïkus doux d'Enkidou


J'ai raconté dans ce billet ma découverte du haïku. J'ai eu envie de tenter l'aventure d'en écrire à mon tour. Mais comment faire ?

Le haïku a été inventé, et codifié, en langue japonaise. A l'origine il se pense, se dit, s'écrit, en culture, en langue et en écriture japonaises : rien ne permet de dire a priori qu'une transposition dans une autre langue, si elle est possible, devrait reposer sur les mêmes règles.

Il est d'autant plus justifié pour un non-japonais de prendre des libertés avec les règles traditionnelles - ce que ne manquent pas de faire les auteurs de haïkus de langue française - que nombre d'écrivains japonais ont aussi écrit, ou écrivent, des haïkus, en s'affranchissant des règles traditionnelles de forme, pour n'en garder que l'esprit : un poème court, sans rime, irrégulier, qui cherche à saisir au vol une émotion furtive, à fixer un instant du temps qui s'enfuit, inexorablement. Je ne crois pas cependant que l'écriture d'un haïku en soit rendue plus facile, au contraire : ne serait-ce que parce qu'il est difficile, du moins pour un "haïkiste du dimanche" comme moi, de percevoir ce qu'est vraiment un "bon" haïku ... 

Haïkus de novembre


De l'herbe mouillée
un geai brusquement s'envole -
rêverie brisée.
-oOo-

samedi 14 décembre 2013

Petite anthologie de haïkus en langue française


Andrzej Wachala
 
A moitié petite,
la petite
montée sur un banc.
Paul Éluard
-oOo-
Pendant ton sommeil
je joue avec les nuages
et tu n'en sais rien.
Lisa Carducci
-oOo-

vendredi 13 décembre 2013

Haikus japonais anciens et contemporains (2)


Magritte - La Grande Famille

Cet automne-ci
pourquoi donc dois-je vieillir ?
oiseau dans les nuages.
Bashô
-oOo-
 J'arrose
pensant pouvoir
vivre encore.
Toshiko Tonomura
-oOo-

dimanche 8 décembre 2013

samedi 7 décembre 2013

Le haïku, un art du presque rien ...

... ou quand le temps s'immobilise


Le haïku était pour moi, jusqu'à il y a peu, un objet curieux mais totalement dénué d'intérêt : trois courtes lignes sans rime ni mesure, décrivant le plus souvent de façon banale des choses banales de la vie ou de la nature. Et j'avais peine à y voir de la poésie.

Un des avantages du haïku, c'est que c'est vite lu. Ayant eu en main le livre de Corinne Atlan et Zéno Bianu intitulé Haiku : anthologie du poème court japonais (publié chez Gallimard), je l'ai donc parcouru rapidement. Et je me laissé prendre au charme discret de ces courts textes d'apparence si modeste. Vite lus, sans doute, mais il en est qui résonnent longtemps, si on les laisse résonner.

Voici, en quelques mots, ma compréhension de cette chose étrange, minimaliste et attachante. Point de vue purement subjectif d'un promeneur curieux égaré dans un univers inconnu.

L'origine et la forme du haïku

Les origines du haïku remontent au Japon du XVIIème siècle (on trouve plein d'informations sur Wikipedia, mais aussi sur le blog, très riche, de Dominique Chipot).

vendredi 29 novembre 2013

La loi sur le "vote blanc", symptôme d'une démocratie malade

(d'après Aurel)

Le 28 novembre 2013, l'Assemblée Nationale a adopté, dans une touchante unanimité, et sous les applaudissements de la quasi-totalité de la classe politique et des commentateurs, la proposition de loi visant à reconnaître le vote blanc aux élections, sous la forme suivante : 
« Les bulletins blancs sont décomptés séparément [...]. Ils n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés, mais il en est fait spécialement mention dans les résultats des scrutins [...]». 
J'avais déjà eu l'occasion de dire ici tout le mal que je pensais de ce que je croyais n'être qu'une mauvaise plaisanterie. Je n'imaginais pas, à vrai dire, que les parlementaires pousseraient la démagogie, la lâcheté et l'irresponsabilité jusqu'à voter un texte aussi stupide ; pire encore, qu'aucune voix ne s'élèverait parmi eux, ni en-dehors d'eux d'ailleurs, pour dire qu'il était temps de cesser de prendre les citoyens pour des crétins. Malheureusement, je me trompais. 

Pas besoin de sortir de Sciences-Po pour comprendre l'insondable nullité de cette loi. Et le fait que quelques-uns des grands penseurs de notre temps, de Francis Lalanne à Bruno Gaccio, en attendant, peut-être, Patrick Sébastien et Line Renaud, soutiennent cette loi, n'y change rien. Un vote blanc n'a et n'aura jamais plus de sens ni d'effet qu'une abstention ou qu'un vote nul : décompté ou pas, il ne compte pas. Il est d'ailleurs fait pour ça. Le voteblanchiste exprime par un bulletin déposé dans l'urne son souhait de ne pas choisir : le même souhait que celui qu'exprime, à sa façon, le pêcheur à la ligne. Comme lui, il laisse les autres choisir pour lui. Ce qui est une décision parfaitement respectable au demeurant, quel que soit le mode de non-expression de suffrage. 

samedi 16 novembre 2013

Notre Père, qui étiez aux cieux, où êtes-vous donc passé? (3ème partie)



(Pour lire la 1ère partie) (Pour lire la 2ème partie)

Entrer, ou succomber ?

Il semblerait qu'en adoptant la formule "ne nous laisse pas entrer en tentation", l'Eglise catholique ait définitivement tranché, en faveur de la deuxième option, la question de savoir si le croyant doit seulement demander à Dieu de l'aider dans son combat de tous les jours contre la tentation du mal, ou s'il doit plutôt lui demander de l'empêcher d'entrer dans la zone dangereuse de la tentation, pour éviter tout risque de tomber dans le péché.

Pourtant le débat n'est pas complètement clos. Le Jésuite Michel Souchon dit par exemple :
Les évangiles [...] disent que Jésus lui-même a connu la tentation ! Jésus repousse les offres du diable. Il est ainsi le modèle de la foi du chrétien. Si le Christ a été tenté, il ne peut nous enseigner une prière dans laquelle nous demanderions une existence dispensée de la tentation. Le sens de cette demande n’est donc pas : "Épargne-nous la tentation", mais : "Ne permets pas que nous succombions à l’heure de la tentation. Aide-nous pour que ne tombions pas dans le péché".
Michel Souchon cite également saint Augustin :
Dans son voyage ici-bas, notre vie ne peut pas échapper à l’épreuve de la tentation, car notre progrès se réalise par notre épreuve. Personne ne se connaît soi-même sans avoir été éprouvé, ne peut être couronné sans avoir vaincu, ne peut vaincre sans avoir combattu, et ne peut combattre s’il n’a pas rencontré l’ennemi et les tentations" (Sur les psaumes, Enseignement sur le psaume 60,2-3).
Thérèse d'Avila est elle aussi d'avis que l'homme ne doit pas être épargné par la tentation :
Ceux qui arrivent à la perfection, écrivait-elle, ne demandent pas à Dieu d’être délivrés des souffrances, des tentations, des persécutions ni des combats. [...] ils désirent plutôt les épreuves, ils les demandent et les aiment. Ils ressemblent aux soldats, qui sont d’autant plus contents qu’ils ont plus d’occasions de se battre, parce qu’ils espèrent un butin plus copieux ; s’ils n’ont pas ces occasions, ils doivent se contenter de leur solde, mais ils voient que par là ils ne peuvent pas s’enrichir beaucoup. Croyez-moi, mes sœurs, les soldats du Christ, c’est-à-dire ceux qui sont élevés à la contemplation et qui vivent dans la prière, ne voient jamais arriver assez tôt l’heure de combattre.
 Nous voilà donc bien avancés, ou plutôt revenus à la case départ : la tentation, faut-il l'éviter, ou au contraire l'affronter pour la vaincre ? La question reste ouverte.

Notre Père, qui étiez aux cieux, où êtes-vous donc passé? (2ème partie)


(Pour lire la 1ère partie) (Pour lire la 3ème partie)

De la tentation, et des moyens de n'y pas entrer, ou de n'y pas succomber

La version de 2013 de la sixième demande du Notre Père, "ne nous laisse pas entrer en tentation", se substituant au très contesté "ne nous soumets pas à la tentation" de la version œcuménique de 1965, n'est qu'un nouvel avatar des traductions successives de ce passage.

Voici un petit florilège de celles publiées depuis le XIIème siècle (tiré de l'article "Le Notre Père", de l'Observatoire du Louvre - j'ai reproduit quelques uns des textes complets à la fin de ce billet).

Plus ancienne traduction connue en français - XIIe siècle
E ne nus meines en tenteisun (Ne nous mène pas dans la tentation)

Traduction du XIVe siècle
Sire, ne soffre que nos soions tempte par mauvesse temptation

Clément Marot - XVIe siècle
Et ne permectz en ce bas Territoire Tentation sur nous avoir victoire

Bible catholique - XVIIe siècle (Lemaitre de Sacy)
Et ne nous laissez pas succomber e la tentation

Bible Catholique - XVIIIe siècle (Richard Simon)
Et ne nous laissés point tenter

Traduction française utilisée dans certaines communautés orthodoxes
Et ne nous soumets pas à l’épreuve

Version Synodale - 1910
Ne nous abandonne pas à la tentation

Traduction en Créole Haïtien
Pa kite nou nan pozisyon pou n' tonbe nan tantasyon (Ne nous laisse pas tomber dans la tentation).

Chacun peut y trouver formule à son goût. Celle que je préfère est celle de Clément Marot : "Et ne permets, en ce bas territoire / Tentation sur nous avoir victoire". Non seulement la métrique est juste et la rime riche, mais la phrase est pleine de sens. Et du bon. On ne saurait, me semble-t-il, mieux dire : la tentation du mal, elle est là, devant nous, au milieu de nous, pauvres humains soumis à nos bas instincts en ce bas monde. Et la grande affaire, c'est de la combattre, et de gagner cette bataille. Avec l'aide de Dieu, s'il le veut.

Notre Père, qui étiez aux cieux, où êtes-vous donc passé? (1ère partie)



(Pour lire la 2ème partie) (Pour lire la 3ème partie)

Du temps de mon enfance, catholique et provinciale à défaut d'être universelle, on disait le Notre Père ainsi (on le chantait aussi parfois, dans l'église où j'allais, en latin, ce qui était assez joli à défaut d'être compris) :

Notre Père, qui êtes aux cieux,
Que votre nom soit sanctifié.
Que votre règne arrive.
Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour.
Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.
Et ne nous laissez pas succomber à la tentation.
Mais délivrez-nous du mal.
 
Je ne sais pas si cette version dite "classique", qui date du XIXème siècle, était parfaitement orthodoxe (au sens commun du terme), ce dont on se fichait complètement à vrai dire : mais elle était assez compréhensible. En 1965, dans leur zèle duo-vaticano-œcuménique, les catholiques décidèrent d'adopter une version commune, dite de ce fait "œcuménique", avec les orthodoxes (ce sont eux qui le disent, on n'est jamais si bien servi que par soi-même) et les protestants (qui, même s'ils ne protestent plus tellement, se considèrent certainement comme orthodoxes, eux aussi), toujours en vigueur jusqu'à il y a quelques jours :
 
Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne, Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Et ne nous soumets pas à la tentation,
Mais délivre-nous du Mal.
 
Et voici que, après 48 ans de bons et loyaux services, soit (environ) 192 trimestres, ce bon vieux Notre Père est mis à la retraite d'office (ce qui signifie, en toute logique, qu'on va le retirer de l'office) : la phrase "Ne nous soumets pas à la tentation" est remplacée par "Ne nous laisse pas entrer en tentation". Le reste du texte est maintenu en l'état antérieur.
 
Bien que ne récitant plus le Notre Père depuis longtemps, et ayant cessé d'y croire depuis plus longtemps encore, je crois bien que je vais, voluptueusement, succomber à la tentation de dire tout le mal que je pense de cette nouvelle version - ainsi que, l'occasion faisant le larron, de la précédente. Et je le ferai avec d'autant moins de remords que je sais que ceux que j'aurai ainsi offensés me pardonneront aussi aisément que Dieu leur pardonnera leurs propres offenses.
 

samedi 28 septembre 2013

Agacement, 11



Les gens qui savent tout sur tout m'agacent.

Je ne parle pas de ceux qui croient savoir tout sur tout, mais dont la science a plus de trous que de fromage : ceux-là sont, au bout du compte, plus attendrissants qu'agaçants, dès lors qu'on prend le parti d'en sourire.

Non, je parle de ceux, ou celles, qui savent vraiment tout sur tout. Ils ont tout vu, tout lu, tout entendu, tout retenu. Et en plus, ils en parlent bien mieux que vous. Vous revenez de Bali, de Terre Adélie, ou du Machu Picchu : ils y sont allés. Vous avez vu le dernier Woody Allen, ils peuvent raconter tous ses films. D'Héraclite à Bernard-Henri Lévy, de Guillaume d'Occam à Guillaume Musso, ils connaissent tous les textes. La fugue ni le contrepoint, le rap ni le reggae, n'ont de secret pour eux. La théorie des cordes ou le boson de Higgs, non seulement ils connaissent, mais ils savent expliquer à quoi ça sert. Même les histoires drôles, ils les connaissent toutes.
 
Ayez pitié, Mesdames et Messieurs les omniscients : laissez-nous respirer, nous les humains ordinaires. Faites comme si, de temps en temps, vous ne saviez rien. Sachez tout, autant que vous voudrez, mais oubliez-le : on vous en saura gré. Et on arrêtera de maugréer.

dimanche 15 septembre 2013

Le "mariage pour tous", et après ? (2ème partie)


(pour lire la 1ère partie)

A propos de la loi, aujourd'hui adoptée par la France, autorisant le mariage homosexuel, je me suis intéressé jusqu'ici à la question de l'égalité, à celle de l'acceptation sociale de l'homosexualité, et à celle de la confusion originelle entre mariage civil et mariage religieux.

Je voudrais m’interroger maintenant sur les questions relatives à la parentalité et à la filiation, qui sont, je crois, les seules questions vraiment sérieuses à propos du mariage homosexuel, et qui seront au cœur des débats qui vont suivre immanquablement, de la PMA (procréation médicalement assistée) à la GPA (gestation pour autrui).

Les questions de la parentalité et de la filiation

Dans le débat sur le mariage homosexuel, ces questions ont été le plus souvent instrumentalisées par les opposants de principe - je veux dire que, pour beaucoup, elles ont servi de prétexte, ou de paravent, à des prises de position dont les motivations étaient moins nobles que la protection des enfants. Le "principe de précaution", ici comme dans d'autres domaines, était un argument facile pour ceux qui ne veulent rien changer. Cela n'a malheureusement pas contribué à ce que ces questions soient débattues avec la sérénité qui aurait été nécessaire. Il n'empêche : il n'est pas trop tard pour y réfléchir.

Le "mariage pour tous", et après ? (1ère partie)


(pour lire la 2ème partie)

La France, après un certain nombre d'autres pays, autorise désormais le mariage entre personnes du même sexe, ainsi que l'adoption d'enfants par les couples ainsi constitués. Pour ma part, je n'ai pas vu de raison sérieuse de m'y opposer - même si les arguments qui ont été avancés en faveur de cette évolution législative n'ont pas toujours été, loin de là, très convaincants.

Néanmoins, même si la cause est entendue, même si la messe est dite, si l'on peut dire, sur le mariage et sur l'adoption, il ne me semble pas inutile d'y revenir. Car il reste encore des questions à venir, en particulier sur la procréation médicalement assistée (PMA) et sur la gestation pour autrui (GPA).

La question de l'égalité

Un des arguments avancés par les partisans du "mariage pour tous" était celui de l'égalité entre tous les individus, quelle que soit leur orientation sexuelle et leur choix de vie. Je ne crois pas, pour ma part, qu'on doive le retenir.

L'article 1er de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 proclame que "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune". La Constitution française précise : "[La France] assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion". Elle n'a pas ajouté "sans distinction de sexe" : par prudence, et par réalisme, sans doute.

Peut-on ainsi déduire du principe d'égalité devant la loi que, puisqu'un homme a le droit d'épouser une femme, une femme doit le pouvoir aussi, ou inversement ? La réponse est juridiquement non : le fait que la loi réservait jusqu'à présent le mariage à un couple formé d'un homme et d'une femme n'était pas contraire au principe d'égalité tel qu'il est défini dans la Constitution. Dans un arrêt récent, le Conseil Constitutionnel a été très clair sur ce point : "Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général" (voir cet article). Et en l'occurrence, la différenciation faite par la loi entre l'homme et la femme concernant le mariage était jugée motivée par l'intérêt général.

jeudi 8 août 2013

Agacement, 10



Vous je ne sais pas, mais moi, il y a un truc qui m'agace prodigieusement : c'est quand, alors que je prends tranquillement ma douche en sifflotant, la savonnette glisse de ma main pour aller se perdre dans le bac à douche.

D'un côté, je peux la comprendre : être une savonnette n'est pas le plus agréable des états, et elle peut avoir envie, de temps en temps, de prendre l'air. Encore que, en y réfléchissant ... passer son temps sous la douche, il y a pire comme vie ... et surtout ça dépend de la fréquentation de ladite douche.

Car il est des mains entre lesquelles j'aimerais bien être à la place de la savonnette, pas vous ? Mais je m'égare, je m'égare ...

Et donc cette satanée savonnette prend un malin plaisir à s'échapper de ma main au moment où j'en ai justement besoin. Le problème, c'est que la savonnette est blanche, en général. Et que, comme par un fait exprès, le bac à douche est blanc, lui aussi. Et que, bien évidemment, je ne garde pas mes lunettes sous la douche ...

Alors, pour retrouver cette fichue savonnette blanche sur le fond blanc du bac, j'erre, je cherche, je tâtonne ... Et rien que d'y penser, ça m'agace.

mercredi 31 juillet 2013

Agacement, 9


Agacement, 9

Les intégristes m'agacent, en général, et aussi en particulier. Par exemple, les intégristes de la langue française. Ceux qui pensent que notre langue a été figée pour l'éternité, ou presque, dans l'état où elle a été codifiée par ses prophètes. Ceux pour qui Furetière et Littré sont les deux mamelles auxquelles se nourrit l'identité française. Ceux pour qui "le Dictionnaire" est la seule et unique origine de la Vérité. Ceux qui ont oublié que la source du langage, ce sont le langage lui-même et ceux qui l'utilisent, et non ses grands prêtres. Ceux qui ne veulent pas admettre qu'une langue vivante doit vivre. Que, comme tous les êtres vivants, elle ne vit qu'en s'enrichissant de la vie qui l'entoure. Qu'elle est d'autant plus forte qu'elle est plus ouverte, tolérante, accueillante, curieuse d'autres langues, d'autres cultures, d'autres territoires. Et que, du jour où elle croit ne pouvoir ou ne devoir trouver qu'en elle-même la source de sa subsistance, elle est condamnée à se rétrécir, s'étioler, se dessécher, se racornir. Condamnée à s'endormir pour ne pas se réveiller. Condamnée à devenir, un beau matin, une langue morte. 

Cela dit, il est aussi de bien beaux cimetières. Tant qu'il reste des vivants pour les voir.

samedi 27 juillet 2013

De l'illusion de la gratuité




La Ministre de la Justice, Christiane Taubira, vient d'annoncer la suppression de la taxe de 35 euros dont devait s'acquitter un particulier pour saisir la justice d'un litige (voir ici). "Le rétablissement de la gratuité de la justice", se sont réjouis tant la Ministre que nombre de commentateurs. D'autres, dont je suis, y voient une décision purement démagogique qui ne pourra avoir pour résultat que d'aggraver les maux dont souffre la société française en général et la justice en particulier, sans aucun effet bénéfique pour quiconque - sinon, peut-être, pour la corporation des avocats.

Je vais m'expliquer sur les raisons de ma colère à propos de cette décision consternante et absurde. Mais j'ai envie d'en profiter pour partager une ébauche de réflexion sur la notion de "gratuité". Ou plutôt, sur l'illusion de la gratuité. Car, contrairement aux apparences, ce qui semble gratuit  ne l'est presque jamais pour tout le monde, et ne l'est même qu'assez rarement pour ceux qui croient en être les bénéficiaires.

Gratuit, qu'est-ce que ça veut dire ?

Gratuit vient du mot latin gratus, qui signifie « agréable, aimable ». Le latin gratus serait lui-même apparenté, selon le Dictionnaire Latin de Charlton T. Lewis & Charles Short, au grec χάρμα, kharma, « source de plaisir ». De la même famille, on trouve en français gré, grâce, gracieux, agréer, gratifier, gratitude ou ingratitude, etc.

samedi 25 mai 2013

La mort d'un poète



Georges Moustaki est mort avant-hier.
 
Non, je sais, ce n'est pas une nouvelle. Sur le moment, ça m'a fait un petit choc : Le métèque, c'est ma jeunesse, aussi. Mais ça fait un moment déjà qu'elle a foutu le camp, ma jeunesse.
 
Un poète qui meurt, ça ne fait pas de fracas, c'est une bulle qui éclate, une plume qui tombe, c'est rien du tout. Moustaki, depuis le temps qu'il était silencieux, on le croyait déjà mort. En plus, un poète ne meurt pas vraiment. Il en est même beaucoup qui ne commencent vraiment à vivre qu'après leur mort. La mort de Moustaki, c'est rien du tout ... ou presque : pas la fin du monde, non, mais quand même la fin d'un monde.
 
Parce qu'il était, je crois bien, le dernier survivant. Moustaki n'était pas un monstre sacré : il n'était ni Piaf, ni Barbara, ni Gréco, ni Brel, ni Brassens, ni Reggiani, ni Salvador, ni Mouloudji. Mais il était un membre de cette famille-là. C'est avec tous ceux-là qu'il a chanté, qu'il a vécu, qu'il a aimé. C'est avec eux, pour eux qu'il a écrit ces chansons qui resteront parmi les plus belles de la chanson française : Milord, bien sûr, pour Piaf, La longue dame brune pour Barbara, Ma liberté pour Reggiani ...

Il était le dernier survivant, mais la vie continue. Je pense à l'adaptation qu'il a faite de la très belle chanson de Carlos Jobim, Aguas de Março (à écouter ici, chantée par lui-même, ou , merveilleusement interprétée par Stacey Kent) :

"[...]C'est l'hiver qui s'efface, la fin d'une saison,
C'est la neige qui fond, ce sont les eaux de mars,
La promesse de vie, le mystère profond,
Ce sont les eaux de mars dans ton coeur tout au fond."