dimanche 15 septembre 2013

Le "mariage pour tous", et après ? (2ème partie)


(pour lire la 1ère partie)

A propos de la loi, aujourd'hui adoptée par la France, autorisant le mariage homosexuel, je me suis intéressé jusqu'ici à la question de l'égalité, à celle de l'acceptation sociale de l'homosexualité, et à celle de la confusion originelle entre mariage civil et mariage religieux.

Je voudrais m’interroger maintenant sur les questions relatives à la parentalité et à la filiation, qui sont, je crois, les seules questions vraiment sérieuses à propos du mariage homosexuel, et qui seront au cœur des débats qui vont suivre immanquablement, de la PMA (procréation médicalement assistée) à la GPA (gestation pour autrui).

Les questions de la parentalité et de la filiation

Dans le débat sur le mariage homosexuel, ces questions ont été le plus souvent instrumentalisées par les opposants de principe - je veux dire que, pour beaucoup, elles ont servi de prétexte, ou de paravent, à des prises de position dont les motivations étaient moins nobles que la protection des enfants. Le "principe de précaution", ici comme dans d'autres domaines, était un argument facile pour ceux qui ne veulent rien changer. Cela n'a malheureusement pas contribué à ce que ces questions soient débattues avec la sérénité qui aurait été nécessaire. Il n'empêche : il n'est pas trop tard pour y réfléchir.

Le lien entre le mariage et la famille

C'est une banalité que de le redire : l'institution du mariage, qu'il soit religieux ou civil, a été "inventée" essentiellement pour donner un cadre légal et social à la procréation et à l'éducation des enfants. Comme le dit Claude Levi-Strauss dans Le Regard éloigné : "La famille, fondée sur l'union plus ou moins durable, mais socialement approuvée, de deux individus de sexes différents qui fondent un ménage, procréent et élèvent des enfants, apparaît comme un phénomène pratiquement universel, présent dans tous les types de société".

C'est aussi une banalité que de constater que l'évolution des mœurs et des lois nous a, depuis longtemps, très largement éloignés de cette vocation originelle : le mariage est aujourd'hui pratiquement totalement dissocié, dans l'esprit et dans la pratique, de la création d'une "famille" au sens traditionnel. Le mariage n'est plus que l'une des formes, parmi d'autres, de l'organisation d'un couple. La loi française a d'ailleurs pris intégralement acte de cette dissociation entre le mariage et la procréation, en abolissant progressivement toute distinction de fait d'abord, de droit ensuite, entre "filiation légitime" et " filiation naturelle" - même si, lorsque la mère de l'enfant est mariée, la présomption de paternité du mari demeure.

De même, concernant l'éducation des enfants, et depuis bien longtemps, son lien avec le mariage s'est très fortement distendu, tant dans les faits que dans le droit. Il n'y avait déjà en 2006, selon l'INSEE, que de l'ordre de 75% des enfants mineurs qui vivaient dans une famille "traditionnelle", et donc environ 1 enfant sur 4 qui vivait soit avec un seul parent, soit dans une "famille recomposée".

Ainsi le mariage n'est plus, loin s'en faut, le cadre unique ou quasi-unique de la constitution d'une "famille". Un grand nombre d'enfants sont élevés aujourd'hui soit par une femme seule, soit - plus rarement - par un homme seul, soit par un couple dont l'homme n'est pas leur père biologique, ou la femme pas leur mère biologique, soit encore par un couple homosexuel. Sans compter les enfants adoptés, élevés généralement par un couple dont aucun de leurs parents biologiques ne fait partie.

On peut rêver d'une cité idéale, qui n'a en réalité jamais existé nulle part, où tous les enfants seraient élevés par leur père et leur mère. Est-ce le monde en serait meilleur pour autant ? Il me semble me souvenir que, dans le premier exemple de cette famille prétendument idéale, celle d'Adam et Eve, les enfants ont plutôt mal tourné, non ? Toutes les mythologies fourmillent de tueries familiales, ce qui est sans doute révélateur de la perception de la famille par l'inconscient collectif. Et l'histoire de l'humanité réelle n'est guère plus réjouissante de ce point de vue - même s'il existe aussi, Dieu merci, des familles heureuses.

Les questions de la filiation et de l'adoption

Sur la question, évidemment fondamentale, de l'adoption, la loi sur le mariage homosexuel a tranché : elle permet à un couple homosexuel marié d'adopter un enfant au même titre exactement qu'un couple hétérosexuel. Ce faisant, elle indique implicitement que le fait que les deux adoptants soient du même sexe ne peut pas a priori être considéré comme contraire à l'intérêt de l'enfant - intérêt qui reste le seul critère pertinent, d'un point de vue juridique, pour accepter ou refuser l'adoption d'un enfant (selon l'article 353 du Code Civil).

Même si la loi y a donné une réponse, la question reste néanmoins légitime : est-ce que le fait pour un enfant d'être élevé par deux "parents" de même sexe ne constitue pas pour lui un handicap, ou un risque ?

La philosophe Sylviane Agacinski, par ailleurs épouse de Lionel Jospin et peu suspecte d'avoir sur le sujet un jugement biaisé par des a priori politiques, s'est prononcée très clairement contre la loi. J'ai donc cherché à comprendre pourquoi.

Sylviane Agacinski est opposée à "l'institution d'un couple parental homosexuel" qui, selon elle, "abolirait la distinction homme/ femme au profit de la distinction entre homosexuels et hétérosexuels". Je ne vois pas bien d'où elle tire cela. Elle écrit encore : "Dans une civilisation comme la nôtre, héritière du droit romain, le mariage [...] repose [...] sur l'union des deux sexes en raison de leur complémentarité dans la génération". Historiquement, c'est indéniable : est-ce une raison suffisante pour considérer cela comme immuable ? Elle poursuit : "Le lien de filiation unissant un enfant à ses parents est universellement tenu pour bilatéral, et cette bilatéralité serait inintelligible si elle ne s'étayait directement sur la génération sexuée". En clair : c'est parce qu'il faut ("universellement") une femme et un homme pour faire un enfant que cet enfant a deux parents, une femme et un homme, et seulement deux. "En résumé, conclut-elle, si l'ordre humain, social et symbolique, donne aux individus une filiation double, mâle et femelle, ce n'est pas en raison des sentiments qui peuvent lier les parents entre eux, des désirs qui les animent ou des plaisirs qu'ils se donnent, c'est en raison de la condition sexuée de l'existence humaine et de l'hétérogénéité de toute génération dont la culture a jusqu'ici voulu garder le modèle". En d'autres termes, le juridique et le social ont été jusqu'ici en quelque sorte le reflet, à défaut d'en être toujours l'image parfaite, du biologique. Dont acte.

Et pourtant la question, qui me semble ainsi fort justement posée par Sylviane Agacinski, n'est pas résolue pour autant : est-ce que ce "modèle" biologique, que nous avons conservé (au moins juridiquement) "jusqu'ici", doit éternellement rester le cadre exclusif de la famille qui amène des enfants à l'âge adulte ? Le constat que "ça a toujours été comme ça" ne me semble pas une raison suffisante pour ne pas changer.

De nombreux psychothérapeutes ont également donné leur avis sur la question. Ces avis sont partagés - ce qui s'explique sans doute par le fait qu'il n'existe pas un nombre suffisant d'enfants élevés par des couples homosexuels pour que des conclusions puissent être valablement tirées de l'observation, et qu'il s'agit donc, très probablement, d'avis motivés par des convictions personnelles, d'un côté comme de l'autre. Et je dois dire que je n'ai rien trouvé de vraiment convaincant, ni chez ceux qui soutenaient la loi, ni chez ceux qui s'y opposaient.

Parmi les opposants à l'adoption par les couples homosexuels, la psychanalyste Claude Halmos a écrit en 1999 (c'était à l'occasion des débats sur le PACS, mais je suppose qu'elle n'a pas changé d'avis) un long article sur le sujet. Elle y affirme que "l’enfant a besoin d’un père et d’une mère qui soient un homme et une femme". D'où tient-elle cette certitude ? Mystère. Elle développe l'idée que "la différence des sexes est un élément essentiel de [la] construction [psychique de l'enfant]". D'accord, mais en quoi l'homoparentalité serait-elle un obstacle à la compréhension par l'enfant de cette différence ? Elle dit aussi : " Pour servir au développement de l’enfant, la différence des sexes doit [...] s’incarner, prendre corps… dans des corps". D'accord aussi, mais les "corps" de ses parents seraient-il donc les seuls corps auquel un enfant est confronté ?

La "démonstration" de Claude Halmos, de mon point de vue, s'apparente davantage à une profession de foi qu'à un raisonnement logique et fondé sur des faits. Et Claude Halmos est particulièrement bien placée par ailleurs pour constater les dégâts psychiques que peuvent causer à un enfant des parents apparemment "normaux" - ce qui n'est évidemment pas non plus un argument en faveur de la thèse adverse.

Car il faut aussi reconnaître que les discours en faveur de l'adoption par les couples homosexuels ne sont souvent guère plus solides - même sans parler de ceux, inacceptables, qui justifient leur position par le "désir d'enfant" de ces couples, sans s'être préalablement interrogés sur l'intérêt des enfants concernés.

Par ailleurs, comme beaucoup l'ont signalé, pour le plus souvent s'en inquiéter, la légalisation du mariage homosexuel va sans aucun doute soulever la question de l'insémination artificielle pour les couples de femmes, ainsi que celle, plus lointaine mais inévitable, de la gestation pour autrui (GPA) pour les couples d'hommes.

La question de la PMA

La loi française (article L2141-2 du Code de la Santé Publique) autorise aujourd'hui la procréation médicalement assistée (PMA) exclusivement pour les couples stériles ... et constitués d'un homme et d'une femme.

Parmi les grandes religions (voir par exemple le site Natisens), l'Église catholique est la seule à y être encore totalement opposée : pour elle, un enfant doit être exclusivement le fruit de la relation sexuelle d'un couple marié. L'Islam et le Judaïsme autorisent la PMA pour les couples hétérosexuels mariés, à condition que le sperme et l'ovocyte proviennent bien du couple concerné. Les protestants sont les plus libéraux en la matière, et considèrent la PMA comme légitime (pour les couples hétérosexuels), y compris avec don de gamètes.

Si on laisse donc de côté les convictions religieuses des uns et des autres, reste la question : pour quelles raisons la loi, qui autorise désormais d'une part l'adoption par un couple homosexuel, d'autre part le don de gamètes pour les couples hétérosexuels, n'autoriserait-elle pas ces mêmes dons pour un couple de femmes ? En d'autres termes : dès lors qu'un couple homosexuel est reconnu par la loi apte, au même titre qu'un couple hétérosexuel, à conduire à l'âge adulte un enfant qui n'est pas le sien, pourquoi le serait-il moins si cet enfant est à moitié le sien ?

Les religions sont, de ce point de vue, conséquentes : refusant le don de sperme ou d'ovocyte pour les couples hétérosexuels, elles le refusent aussi pour les couples homosexuels. De même, les opposants à l'adoption par les couples homosexuels sont logiques avec eux-mêmes en refusant la PMA pour ces couples. Mais, dès lors que la loi a autorisé l'adoption par un couple de femmes, je peine à trouver le moindre argument pour qu'elle leur refuse la PMA.

Par ailleurs les questions relatives au droit des enfants conçus par insémination artificielle avec donneur tiers, ou "nés sous X", à connaître leur père ou leur mère biologique, aussi légitimes soient-elles, ne sont en rien liées aux droits nouveaux accordés par la loi aux couples homosexuels.

La question de la GPA

François Terré, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, rappelle que "la maternité pour autrui est vieille comme le monde". Ainsi, dans la Genèse (chapitre 16) : "Saraï, femme d'Abram, ne lui avait point donné d'enfants. Elle avait une servante égyptienne, nommée Agar. Et Saraï dit à Abram : Voici, l'Éternel m'a rendue stérile ; va, je te prie, vers ma servante ; peut-être aurai-je par elle des enfants (...) Agar enfanta un fils à Abram ; et Abram donna le nom d'Ismaël au fils qu'Agar lui enfanta". En l'occurrence, les choses se sont assez mal passées entre l'épouse et la mère porteuse, qui se sont un peu crêpé le chignon. Mais il y a aussi d'autres exemples dans la Bible, qui ne semble pas avoir trouvé à y redire : les épouses de Jacob, Rachel et Léa, notamment, ont elles aussi eu recours à leurs servantes pour faire des enfants à leur place.

Actuellement seuls quelques pays dans le monde, notamment les Etats-Unis et le Canada, autorisent, sous certaines conditions, la maternité pour autrui. La loi française l'interdit pour l'instant (4). Une commission du Sénat, dans un rapport publié en 2008, avait proposé son autorisation, pour une femme "dans l'impossibilité de mener une grossesse à terme ou de la mener sans danger pour sa santé ou pour celle de l'enfant à naître", dans un cadre juridique précis : ce rapport n'a pas eu de suite à ce jour.

La question demeure donc posée. Je suis convaincu qu'il faudra en tout état de cause remettre cette réflexion en chantier, faute de quoi on risque de voir se multiplier des situations et des pratiques préjudiciables aux enfants concernés.

Quant au mariage homosexuel, il n'a a priori rien à voir dans cette question, qui concerne en premier lieu les couples hétérosexuels stériles, et rien n'est plus stupide que de vouloir l'y mêler - ce qu'ont pourtant fait allégrement, essentiellement pour des raisons tactiques, nombre d'opposants au projet de loi.

Certes, l'autorisation de la GPA est, et restera, une demande de certains couples homosexuels masculins, pour lesquels il n'existe, dans l'état actuel de la technique, aucun autre moyen (à part l'adoption) d'avoir et d'élever des enfants au sein de leur couple (rien ne leur interdit, bien évidemment, d'avoir des enfants en dehors, comme n'importe quel couple). Certes, si la GPA est un jour autorisée en France pour les couples hétérosexuels, la question se posera de savoir si elle doit l'être aussi pour les couples homosexuels. Et ce jour-là, ma réponse sera probablement la même que pour la PMA : dès lors que la loi considère qu'un couple d'hommes peut, au même titre qu'un couple hétérosexuel, adopter un enfant, rien ne s'oppose à ce qu'il ait les mêmes droits que les couples hétérosexuels en matière de maternité pour autrui.

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(4) On peut lire à ce sujet l'intéressant mémoire de master d'Emilie Camuzet, La convention de gestation pour autrui : Une illégalité française injustifiée.

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