dimanche 15 décembre 2013

Les haïkus doux d'Enkidou


J'ai raconté dans ce billet ma découverte du haïku. J'ai eu envie de tenter l'aventure d'en écrire à mon tour. Mais comment faire ?

Le haïku a été inventé, et codifié, en langue japonaise. A l'origine il se pense, se dit, s'écrit, en culture, en langue et en écriture japonaises : rien ne permet de dire a priori qu'une transposition dans une autre langue, si elle est possible, devrait reposer sur les mêmes règles.

Il est d'autant plus justifié pour un non-japonais de prendre des libertés avec les règles traditionnelles - ce que ne manquent pas de faire les auteurs de haïkus de langue française - que nombre d'écrivains japonais ont aussi écrit, ou écrivent, des haïkus, en s'affranchissant des règles traditionnelles de forme, pour n'en garder que l'esprit : un poème court, sans rime, irrégulier, qui cherche à saisir au vol une émotion furtive, à fixer un instant du temps qui s'enfuit, inexorablement. Je ne crois pas cependant que l'écriture d'un haïku en soit rendue plus facile, au contraire : ne serait-ce que parce qu'il est difficile, du moins pour un "haïkiste du dimanche" comme moi, de percevoir ce qu'est vraiment un "bon" haïku ... 

La métrique du haïku

Je me suis donc donné pour première règle de conserver la "métrique" traditionnelle 5-7-5.

Trois mesures, respectivement de cinq, sept, et cinq temps, soit en tout dix-sept temps. Trois, cinq, sept, cinq, dix-sept : cinq nombres impairs, et premiers.
 
J'ignore si ces propriétés mathématiques (qu'on retrouve dans la forme 3-5-3, utilisée aussi parfois par certains haïkistes) sont intentionnelles de la part des "inventeurs" de cette forme : mais je ne crois pas qu'elles soient le pur fruit du hasard.

Cette suite de mesures impaires, inégales, un peu bancales, ce rythme presque imperceptible, qui ne trouve un équilibre fragile et instable que par la symétrie ténue entre la première et la troisième mesure, et par la césure qui balance l'ensemble, me semble bien correspondre à l'esprit du haïku : un reflet de la fragilité du réel, à la fois dans le mouvement et dans l'immobilité des choses, et de la fugacité du temps qui passe et que le poème retient un instant ; ce temps suspendu, ce présent sans durée qui est seulement le point de passage entre le présent du passé et le présent du futur, pour reprendre la formule de Saint Augustin ; quelque chose comme un trait de pluie dans le vent ...

Le "kireji" et le "kigo"

J'ai essayé de garder aussi, le plus souvent possible, le principe de la césure ("kireji"). La césure, comme la marque d'une réverbération des images dans l'espace ou dans le temps. De la propension de l'esprit humain à mettre en relation entre eux les moments et les choses. De l'idée qu'un objet, une image, une idée, ne prend tout son sens que par sa résonance avec une autre, comme un pas a besoin d'un autre pas pour devenir un chemin. La césure, comme un pli de papier qui sépare ce qu'il relie, et relie ce qu'il sépare.

Le haïku japonais n'utilise pas la ponctuation : le balancement introduit par la césure doit suffire à marquer à la fois le rythme et le sens. Je me suis efforcé de respecter cette règle, sans en faire toutefois un principe absolu.

Le haïku comporte généralement ce qu'on appelle un "mot-saison" ("kigo"), un mot qui rattache le moment unique du poème à la répétition infinie et immuable du cycle de la nature. Il ne m'a pas semblé nécessaire de suivre strictement cette règle : la présence visible, ou sensible, de la nature m'a paru être un principe suffisant.

Pour le reste, je me suis laissé faire. Le résultat de l'expérience est à cette page.

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