mercredi 15 avril 2020

Chroniques de confinement, 6


Préparez vos mouchoirs (re-suite) : des "mouchoirs de derrière"

(Pour lire l'épisode précédent)

Avant d'arriver enfin à la conclusion (que j'espère prochaine) de cette trépidante chronique sur la meilleure façon de se moucher, je voudrais faire une petite digression (c'est la dernière, promis-juré, sauf imprévu) à propos d'autres excrétions humaines et des moyens de se débarrasser du reliquat des sus-dites : je veux parler du "mouchoir de derrière", du "moucadou dau darrie" comme on dit en provençal - celui que Céline, qui n'était pas toujours aussi délicat, appelle "torche-chose".

C'est certes une digression, mais c'est loin d'être hors sujet, et encore moins sans fondement (ha-ha) : la "ruée vers le PQ" a tout de même été l'un des événements marquants de la période pré-confinement. De plus, la question "papier ou tissu" vaut autant pour l'arrière que pour l'avant.

A ceux qui ne veulent pas s'emmerder à lire ce billet jusqu'au bout, ou qui n'en auraient pas envie parce que ça les ferait chier (peut-on se faire chier quand on n'a pas envie, voilà un bon sujet de chronique, non ?), je recommande vivement ce petit bijou (qu'il faut regarder et écouter jusqu'au bout).

Venons-en au fait.

Les historiens qui se sont penchés avec le sérieux nécessaire sur les vrais sujets de la vraie vie, genre historiens des Annales (ha-ha), nous disent que les Grecs anciens s’essuyaient le derrière soit avec leurs doigts, soit avec le vêtement qu'ils portaient, soit, dans le meilleur des cas, avec des cailloux (sans doute y avait-il en Grèce, déjà à l'époque, plus de cailloux que d'herbe).

Aristophane, expert en la matière (fécale, bien sûr), assure dans le Scholiaste que "trois pierres peuvent suffire pour se torcher le cul si elles sont raboteuses. Polies, il en faut quatre". On voit qu'il était soucieux d'économiser les cailloux, même s'ils étaient, en principe, réutilisables.

Les Romains, aux mœurs moins spartiates (forcément) que les Grecs, et qui préféraient garder les doigts propres vu qu'ils mangeaient avec, les Romains, donc, avaient, si l'on en croit Montaigne, inventé pour cet usage un ustensile fort astucieux : le tersorium (de tergere, nettoyer) ou xylospongium (du grec ξύλον, bois, et Σπόγγος, éponge), qui était tout simplement un bâton de bois avec une éponge à une extrémité.

Voici ce qu'en dit Montaigne : "Ils [les Romains] se torchoyent le cul avec une esponge ; voylà pourquoy spongia est un mot obscoene en latin ; et estoit cette esponge attachée au bout d’un baston".

L'usage du bâton comme torche-cul (usage à l'origine de l'expression bien connue de "bâton merdeux") n'était d'ailleurs pas l'apanage des Romains.


Les moines bouddhistes indiens utilisaient pour se torcher le derrière la śalākā, un petit bâton qui servait à l'origine à compter. Lorsqu'ils ont exporté le bouddhisme en Chine et au Japon, ils ont en même temps popularisé l'accessoire qui allait avec. Des archéologues ont retrouvé en Chine, à Xuanquanzhi dans la province de Gansu, des bâtons à merde (廁籌, cèchóu) vieux de 2 000 ans. Au Japon, on a également retrouvé à Nara des bâtons façonnés spécifiquement pour le nettoyage anal (籌木, chūgi).

L'accessoire en question avait en effet de quoi séduire un large public grâce à ses nombreuses vertus : il était pratique, bon marché, donc accessible pour toutes les bourses, et réutilisable à vie voire au-delà (la légende dit que, en Chine, il se transmettait de père en fils). C'est peut-être le sens de ce célèbre kôan du bouddhisme zen japonais : Un moine demanda à Yunmen : - Qu'est ce que Bouddha ? - Un bâton à merde ! répondit Yunmen.

Au moyen-âge, nos moines aussi avaient leurs habitudes, et n'hésitaient pas à les faire partager. On lit ainsi dans les Annales (cette fois je n'y suis pour rien) bénédictines de 996 : "Les religieux de l'ordre de Saint Benoît ... vivent et voyagent avec un précieux nécessaire appelé anitergia".

Qu'est-ce donc que ce mystérieux anitergium, ou aniterge ? Les connaisseurs feront immédiatement le lien avec le manuterge, le linge avec lequel le prêtre s’essuie les mains lors de la célébration de la messe (du latin tergere, essuyer, le même qui a donné le tersorium cité plus haut). Aniterge, manuterge, c'est évidemment le même mot, où l'anus a remplacé la main ...

Mais de quoi est fait l'aniterge ? De toutes sortes de choses : de coton et de lin pour le Duc de Berry, de velours ou de satin pour le délicat poète Eustorg de Beaulieu ("Du velours vault mieulx que satin / Pour torcher son cul au matin", écrit-il), de chanvre pour Richelieu, de laine de mouton mérinos pour Mme de Maintenon, ou de dentelle pour Jeanne Bécu, devenue comtesse du Barry ...

On ne peut pas omettre de citer ici le bon Rabelais, un autre orfèvre en cagasseries et autres propos torcheculatifs. Notons que pour Gargantua, qui a vraiment tout essayé en fait de torche-balle (y compris le mouchenez, qui peut donc servir également à cet usage en cas de besoin), le papier n'est de loin ni le plus plaisant ni le plus efficace.

Les cents et une manières de se torcher le cul. 

J'ay (respondit Gargantua [à son père Grandgousier]) par longue et curieuse experience inventé un moyen de me torcher le cul, le plus seigneurial, le plus expedient que jamais feut veu.
- Quel ? dict Grandgousier.
- Comme vous le raconteray (dist Gargantua) presentement. 

Je me torchay une foys d'un cachelet de velours de une damoiselle, et le trouvay bon, car la mollice de sa soye me causoit au fondement une volupté bien grande ; une aultre foys d'un chapron d'ycelles, et feut de mesme ; une aultre foys d'un cache coul ; une aultre foys des aureillettes de satin cramoysi, mais la dorure d'un tas de spheres de merde qui y estoient m'escorcherent tout le derrière; que le feu sainct Antoine arde le boyau cullier de l'orfebvre qui les feist et de la damoiselle qui les portoit ! Ce mal passa me torchant d'un bonnet de paige, bien emplumé à la Souice [à la Suisse].

Puis, fiantant derrière un buisson, trouvay un chat de Mars [une martre] ; d'icelluy me torchay, mais ses gryphes me exulcererent tout le perinée. De ce me gueryz au lendemain, me torchant des guands de ma mere, bien parfumez de maujoin [benjoin].

Puis me torchay de saulge, de fenoil, de l'aneth, de marjolaine, de roses, de fueilles de courles [courges], de choulx, de bettes, de pampre, de guymaulves, de verbasce [herbe urticaante appelée aussi bouillon-noir ou bouillon-blanc] (qui est escarlatte de cul), de lactues et de fueilles de espinards, - le tout me feist grand bien à ma jambe -, de mercuriale, de persiguire [persicaire, ou renouée], de orties, de consolde [consoude] ; mais j'en eu la cacquesangue [hémorragie intestinale] de Lombard, dont feu gary me torchant de ma braguette.

Puis me torchay aux linceux [linceuls, ici draps], à la couverture, aux rideaulx, d'un coissin, d'un tapiz, d'un verd, d'une nappe, d'une serviette, d'un mouschenez, d'un peignouoir. En tout je trouvay de plaisir plus que ne ont les roigneux [galeux] quand on les estrille.

- Voyre, mais (dist Grandgousier) lequel torchecul trouvas tu meilleur ?
- Je y estois (dist Gargantua), et bien toust en sçaurez le tu autem. Je me torchay de foin, de paille, de bauduffle [bouchon de paille servant à laver les écuelles], de bourre, de laine, de papier. Mais 
Tousjours laisse aux couillons esmorche [amorce, dans le sens de boulette, ici de caca] 
Qui son hord [sale] cul de papier torche.
[...]
Je me torchay après (dist Gargantua) d'un couvre chief, d'un aureiller, d'ugne pantophle, d'ugne gibbessiere, d'un panier, - mais ô le mal plaisant torchecul ! - puis d'un chappeau. Et notez que les chappeaulx, les uns sont ras, les aultres à poil, les aultres veloutez, les aultres taffetasser, les aultres satinizez. Le meilleur de tous est celluy de poil, car il faict très bonne abstersion de la matiere fecale. Puis me torchay d'une poulle, d'un coq, d'un poulet, de la peau d'un veau, d'un lievre, d'un pigeon, d'un cormoran, d'un sac d'advocat, d'une barbute [heaume], d'une coyphe, d'un leurre [de fauconnier]

Mais, concluent, je dys et mantiens qu'il n'y a tel torchecul que d'un oyzon bien duveté, pourveu qu'on luy tienne la teste entre les jambes.
Et m'en croyez sus mon honneur. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirificque, tant par la doulceur d'icelluy duvet que par la chaleur temperée de l'oizon, laquelle facilement est communicquée au boyau culier et aultres intestines, jusques à venir à la region du cuers et du cerveau. Et ne pensez que la beatitude des heroes et semi dieux, qui sont par les Champs Elysiens, soit en leur asphodele, ou ambrosie, ou nectar, comme disent ces vieilles ycy. Elle est (scelon mon opinion) en ce qu'ilz se torchent le cul d'un oyzon, et telle est l'opinion de Maistre Jehan d'Escosse.
Quant au papier, quoique inventé par les Chinois il y a plus de 2 000 ans, sa version torche-cul était encore un produit de luxe en occident jusqu'au milieu du XXème siècle (avant, on se torchait plus volontiers avec le journal du matin).

Et selon Wikipedia, nous ne sommes encore qu'un tiers de la population mondiale à l'utiliser ... Comment font les deux tiers restants ? La réponse ... ne sera pas dans le prochain épisode, c'est promis.

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