mercredi 15 avril 2020
Chroniques de confinement, 7
Préparez vos mouchoirs, re-re-suite ... et fin
(épisode précédent)
Après un détour par le fondement, revenons à nos mouchoirs de nez.
Je laisserai ouverte la question de savoir si, tout bien pesé, se moucher dans ses doigts est, ou n'est pas, plus, ou moins, hygiénique, et/ou élégant, et/ou écologique, que le faire comme nous l'ont appris nos parents et comme nous l'avons à notre tour appris à nos enfants : dans un mouchoir.
Reste l'affaire primordiale, l'interrogation originelle : mouchoir papier, ou mouchoir tissu ?
Les mots du mouchoir
En guise d'amuse-nez, promenons-nous parmi les mots des mouchoirs d'autres langues et d'autres cultures (microbiennes, évidemment). J'ai déjà évoqué les Romains, qui utilisaient sudarium, orarium, ou muccarium, selon leurs besoins de nettoyage (je parle ici seulement de celui du visage et de ses orifices, ayant déjà fait la visite d'autres orifices).
Le français, du soutenu à l'argotique, a eu lui aussi sa collection de mots pour désigner cet accessoire : coffin à roupies, mouche-nez, tire-jus, torchon à larmes, blavard, - sans oublier le mouchoir d'Adam, expression argotique qui désigne les doigts - ce qui montre au passage qu'au Paradis, si mouchage il y a (ce qui est évidemment douteux), on se mouche avec les doigts, à la mode à la mode ... de chez nous.
Les Anglais ont le handkerchief (parfois abrégé en hanky), qui signifie littéralement coiffe de main. Le kerchief, dont on devine qu'il s'agit d'une déformation du français couvre-chef, est l'équivalent d'un fichu, d'un foulard, ou d'un bandana. Mais l'anglais utilise aussi le tissue, qui désigne, contrairement à ce qu'on pourrait croire, le mouchoir ... en papier.
Les Japonais ont emprunté à l'anglais handkerchief le mot hankachi (ハンカチ). Le hankachi, s'il est en tissu, ne doit servir qu'à s'éponger le visage, et surtout pas à se moucher - c'est la raison pour laquelle les Japonais reniflent beaucoup.
En italien, c'est le fazzoletto (ou son diminutif fazzolettino), qui a remplacé l'ancien moccichino, strict équivalent du français mouchoir. Fazzoletto peut désigner en fait toutes sortes de petites pièces de tissu, foulard, pochette, bandana ... Si l'on veut être précis, le mouchoir, c'est le fazzoletto da naso, la pochette, le fazzoletto da taschino, le mouchoir en tissu, le fazzoletto di stoffa, le mouchoir en papier, le fazzoletto di carta ... Fazzoletto est un diminutif de fazzolo, ou fazzuolo, tissu servant à éponger le visage (de fazza, version dialectale de faccia, du latin facies).
En espagnol, c'est le pañuelo ou pañuelito (dérivé de paño, du latin pannus, pièce d'étoffe) ou, s'il est en papier, un pañuelo de papel (comme la casa de la même matière), L'espagnol a aussi tejido, tissu, ou encore servilleta (pas besoin de traduire). Les Portugais utilisent le mot lenço, qui signifie mouchoir ou foulard.
Les Allemands disent Taschentuch, le tissu de poche, ou Tuch tout court. Et, fidèles à leur remarquable lego linguistique, ils diront Papiertaschentuch pour un mouchoir en papier.
En roumain, mouchoir se dit batistà - du nom, je suppose, du tissu dont il était fait.
C'est amusant de constater que seul le français, semble-t-il, a conservé pour cet objet une dénomination qui se réfère expressément à sa fonction première, à savoir l'extraction de la morve du nez, alors que les autres langues européennes ont opté pour une prudente neutralité à ce sujet, préférant se concentrer sur sa matière - le tissu - et sur son lieu ordinaire de confinement - la poche.
Et le papier dans tout ça ?
Le mouchoir en papier a été inventé au début du XXème siècle par l’entreprise Kimberly-Clark, et commercialisé sous le nom de Kleenex. Il n'est arrivé en France que dans les années 60.
Kleenex fait partie de ces quelques noms propres (propres jusqu'à un certain point évidemment) qui sont devenus des noms communs, comme poubelle (destination finale supposée du dit kleenex), caddie ou frigidaire. Quand je pense au mot kleenex, c'est la voix de Françoise Hardy que j'entends : "... Derrière un kleenex je saurai mieux / Comment te dire adieu" (le texte est évidemment de Gainsbourg). Mais est-ce une raison suffisante pour se moucher dedans ?
Nous avons tous vu le spot abondamment diffusé à la télé qui montrait bien que le mouchoir en papier, pour ce qui est de la transmission des microbes, ça craint.
Parce qu'en pratique, comment ça se passe, après qu'on s'est mouché dans ce fameux kleenex dont on nous vante les vertus hygiéniques ? Si on est à proximité d'une poubelle, on le jette dedans - ou à côté, si on n'est pas un as du panier à trois points. Comme le montre le petit film, la suite de l'opération est inévitablement l'amorce d'une catastrophe sanitaire de grande ampleur. Et si on n'a pas de poubelle sous la main, ce qui est le cas le plus fréquent, soit on le laisse par terre, avec les mêmes conséquences désastreuses qu'un panier raté, soit on le remballe dans sa poche ou dans son sac, exactement comme on le ferait avec un mouchoir en tissu, avec exactement les mêmes conséquences.
Ainsi la performance du mouchoir en papier n'est pas meilleure, en matière d'hygiène, que celle du mouchoir en tissu, loin s'en faut. Pour l'environnement, le tissu l'emporte largement. Pour le porte-monnaie, pareillement. Pour le confort, il n'y a pas photo non plus.
Sans compter tout ce qu'on peut faire avec un mouchoir en tissu (au moins avant son utilisation selon sa destination théorique) et qu'on serait bien en peine de faire avec son homologue de papier : un garrot, un bâillon, un bandeau pour jouer à colin-maillard, un doudou, un bandana, un pare-soleil au milieu du désert, un cache-col, un drapeau blanc (s'il est blanc) ou rouge (s'il est rouge), un sac de billes ... et même un masque anti-coronavirus ! Et que dirait-on de la demoiselle qui laisserait choir au pied de l'élu de son cœur, en espérant que ce dernier le ramassât, un vulgaire mouchoir en papier ?
Nous voici donc (enfin !) rendus au terme de cette chronique, avec la conclusion qui s'impose : longue vie au mouchoir en tissu !
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