Préparez vos mouchoirs (suite)
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Mon sens civique n'est pas (pas encore ?) affaibli au point de ne pas militer pour le respect scrupuleux des recommandations des autorités publiques, en qui ma confiance est totale. Pourtant, comme je le disais il y a quelques jours, une de ces recommandations me défrise fortement la moustache (*), au point que je me refuse à l'appliquer : c'est l'usage du mouchoir en papier en lieu et place du bon vieux mouchoir en tissu.
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Mon sens civique n'est pas (pas encore ?) affaibli au point de ne pas militer pour le respect scrupuleux des recommandations des autorités publiques, en qui ma confiance est totale. Pourtant, comme je le disais il y a quelques jours, une de ces recommandations me défrise fortement la moustache (*), au point que je me refuse à l'appliquer : c'est l'usage du mouchoir en papier en lieu et place du bon vieux mouchoir en tissu.
1. De la mouche et du mouchage
Chacun sait qu'il y a mouche et mouche.
Il y a la mouche de musca (**) : celle de Belzebuth (en hébreu : בעל זבוב, Baʿal Zəbûb,
littéralement le "Seigneur des
mouches"), celle du coche, celle de la chandelle, celle qu'on
prend, par devant ou par derrière, selon les circonstances ... Malgré son
intérêt, nous allons oublier cette mouche-là pour cette fois.
Et puis il y a la mouche de mucus, celle qui nous intéresse aujourd'hui. Et, si j'ose dire, il
y a matière. Matière visqueuse, en l'occurrence. Produite, comme leur nom
l'indique, par les muqueuses, nasales
pour ce qui est du mucus objet de ce
billet d'humeur (ha-ha).
Vient alors l'épineuse question : comment s'en
débarrasser ? Question qui appelle la suivante, encore plus épineuse : où s'en
débarrasser ?
Naturellement, il y a la solution classique
consistant à extraire ladite matière avec les doigts dans un premier temps, à
se demander dans un deuxième temps ce qu'on pourrait bien en faire, et enfin à
la transférer sur une surface appropriée
(dessous de table, partie de vêtement, mur, ...), le tout avec plus ou moins de
discrétion.
Et c'est là qu'intervient l'objet de la controverse
: le mouchoir.
2. Du mouchoir
On ne peut pas parler de mouchoir sans rappeler
cette délicieuse définition qu'en a donnée Ambroise Bierce : "Mouchoir
: petit carré de soie ou de toile qui sert à accomplir diverses fonctions
ignobles touchant le visage, et particulièrement utile aux enterrements pour
cacher l'absence de larmes".
Chez les Romains déjà, on se mouchait du coude. Et
c'était déjà considéré par ceux qui ne se mouchaient pas du coude comme un usage
de péquenot. Ainsi Cicéron, dans sa leçon de rhétorique à Herennius, lui donne
cet exemple de figure de style : "Ut si salsamentarii filio dicas :
"quiesce tu, cuius pater cubitis emungi solebat" : C'est comme quand on dit au fils d’un
marchand de salaisons : “Ferme-là, toi dont le père avait l’habitude de se
moucher (se emungere) du coude !".
Comment alors se mouchait-on chez les Romains de la
haute ? Ils cachaient dans les plis de leur ceinture une pièce de tissu qu'ils
appelaient, en fonction de l'usage qu'ils en faisaient, sudarium (pour la sueur), orarium
(pour la bouche ou le visage, os,
oris), ou muccarium (comme son
nom l'indique).
Quelques siècles plus tard, en 1530, Erasme, après celui de la folie, fait l'éloge du mouchoir en ces termes : "Se
moucher avec son bonnet ou avec un pan de son habit est [le fait] d'un paysan ; sur
le bras ou sur le coude, d'un marchand de salaisons [Erasme avait lu Cicéron].
Il n'est pas beaucoup plus propre de se moucher dans sa main pour l'essuyer
ensuite sur ses vêtements. Il est plus décent de se servir d'un mouchoir, en se
détournant, s'il y a là quelque personne honorable. Si l'on se mouche avec deux doigts et qu'il tombe de la morve par terre, il faut poser le pied dessus".Son contemporain Rabelais, sur le même thème, décrit ainsi Gargantua enfant : "Gargantua tousjours ... se mascaroyt le nez, se chauffourroit le visaige. Il pissoit sus ses souliers, il chyoit en sa chemise, il se mouschoyt à ses manches, il mourvoit dedans sa soupe ...".
Montaigne, dans sa grande sagesse, relativise :
"Un gentilhomme françois [mais qui ne s'appelait pas nécessairement François] se mouchoit tousjours de sa main (chose tres-ennemie de nostre usage). Défendant là dessus son faict, il me demanda quel privilege avoit ce salle excrement, que nous allassions luy apprestant un beau linge delicat à le recevoir ; et puis, qui plus est, à l'empaqueter et serrer soigneusement sur nous. Que cela devoit faire plus de mal au cœur, que de le voir verser ou que ce fust, comme nous faisons toutes nos autres ordures. Je trouvay qu'il ne parloit pas du tout sans raison : et m'avoit la coustume osté l'appercevance de cette estrangeté, laquelle pourtant nous trouvons si hideuse, quand elle est recitee d'un autre païs".Interrogation légitime : après tout, se moucher dans ses doigts est-il moins hygiénique que remballer son mouchoir dans sa poche après usage ? Et n'est-ce pas gâcher inutilement du beau linge ?
Je nous laisse, pour aujourd'hui, méditer sur ces
questions métaphysiques. En attendant la suite.
(*) Moustache qui d'ailleurs, s'agissant de
mouchure et d'hygiène, interpelle, mais c'est une autre histoire, et je m'abstiendrai aujourd'hui de m'y étendre.
(**) Aucun rapport entre cette musca, même à miel, et le muscat,
vin ou raisin, qui vient (comme la muscade)
de musc (à cause de son odeur
musquée, dit Guez de Balzac), lui-même issu du sanscrit (ou de l'iranien) muṣká,
qui signifie testicule (le
sens de ce dernier enchaînement étymologique m'échappe).
Oublierais-tu le délicat mouchoir de linon tout de dentelle ourlé ?
RépondreSupprimerCelui - qu’après l’avoir parfumé d’une eau de toilette légère, la belle glissait dans le poignet de sa robe, de son manteau…
Celui qu’elle laisserait "malencontreusement" tomber lorsqu’elle croiserait dans l’avenue son voisin de palier… le beau jeune homme qui la faisait soupirer…
- Madame… votre mouchoir !
- Oh ! merci monsieur, merci beaucoup…, dirait-elle, toute rose de son audace.
Va faire ça avec un mouchoir en papier !
Le progrès n’a pas que des bons côtés !
Oublierais-tu le mouchoir de l’ouvrière, blanc, simple, carré ?
Celui qu’elle serrait en boule dans sa main, bien serré, pour l’aider à ne pas trembler… à ne pas montrer son impuissance, sa rage… Surtout ne pas pleurer, ne rien montrer à celui qui l’abaissait, à celle qui la rabrouait…
Le mouchoir blanc, simple, carré, prêt à rapidement éponger la larme qui risquait de perler.
Va faire ça avec un mouchoir en papier !