vendredi 17 avril 2020

Chroniques de confinement, 8


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Voir - Savoir - Avoir - Pouvoir 

Voir

Au commencement de l'humain, il y a le voir.

Je dis voir, pour la beauté de la formule. Il faut comprendre perce-voir, par tous nos sens : voir, entendre, sentir, goûter, toucher.

L'enfant qui naît perçoit le monde qui l'entoure. Au commencement il y a des formes, des espaces, des bruits, des matières, des odeurs, des mouvements, de la vie. L'homme d'abord voit, ou sent, la terre, le ciel, les animaux, les végétaux, le froid, le chaud, l'eau, le feu. La vie, la maladie, la mort. Et les autres hommes.

Très vite il ne se contente pas de voir : il veut savoir.

Savoir

Savoir d'abord pour combattre la peur - presque tout ce que l'homme voit est, d'une manière ou d'une autre, effrayant.

Mais ce n'est pas seulement l'effroi. L'homme devine qu'il y a, derrière l'apparence de ce qu'il voit, quelque chose qu'il ne voit pas, et il désire voir ce qu'il ne voit pas. Il désire voir ça, il désire savoir.

L'homme veut comprendre ce qu'il voit. Il devine que cette curiosité lui permettra de rendre le monde moins effrayant d'abord, de s'en protéger, et peut-être, qui sait, de le rendre plus beau, ou meilleur, pour lui-même.

Ainsi, ayant vu, et regardé ce qu'il voit, l'homme commence à savoir : que l'herbe est plus verte ici que là-bas, parce que l'eau coule ici et manque là-bas ; que l'ombre et le soleil se partagent le monde ; que telle espèce animale nourrit mieux son homme que telle autre ; qu'il est des abris qui protègent et d'autres qui emprisonnent ; que l'homme, comme l'eau et le feu, est bon et méchant à la fois.

L'homme comprend aussi que toutes les choses et les êtres qui l'entourent, et dont il a besoin pour vivre, n'existent qu'en quantité limitée.

Avoir

Alors l'homme dit : ceci est à moi.

Rousseau voit juste quant il écrit : "Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : "Ceci est à moi", et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile". Mais il se trompe dans ce qui suit : "Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne".

Crimes, guerres, meurtres, misères, horreurs, ne sont pas venus parce qu'un jour un homme a dit : ceci est à moi. Ils sont venus parce que rien n'est donné à l'homme qui n'ait de limite.

Sachant cela, l'homme avisé dit : ceci est à moi.

Avoir, ce n'est rien d'autre que se partager le monde. Et essayer d'en garder la meilleure part.

Mais avoir n'est rien encore. Avoir est seulement la condition pour accéder au seul but qui vaille : pouvoir.

Pouvoir

Pouvoir, c'est pouvoir construire - et son revers, pouvoir détruire, Pouvoir donner, et pouvoir prendre. Pouvoir guérir, et pouvoir tuer. Pouvoir créer, beauté ou laideur. Pouvoir seul, et pouvoir ensemble.

Pouvoir, c'est pouvoir choisir l'agir ou le non-agir - sans le pouvoir d'agir, il n'y a pas de non-agir, il n'y a que résignation et impuissance. Pouvoir, c'est pouvoir accepter, et pouvoir refuser, le monde comme il est ou comme il va.

Pouvoir fait le malheur du monde - et son bonheur. La souffrance et le plaisir. Le Bien et le Mal.

Je peux, donc je suis humain. Maître du monde. Pour le pire, et pour le meilleur.

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