lundi 11 mai 2015

Tout est bien qui finit bien : vérité, ou mensonge, ou les deux à la fois (2/2) ?


Chapitre 2

Où il est notamment question du bien et du mal, de la fin et des moyens, de la vie, de la mort, de l'oubli, et des passantes qu'on n'a pas su retenir

Reprenons nos esprits (notons au passage qu'il faut croire que nous en avons plusieurs, sinon on dirait "reprenons notre esprit" - mais ce n'était qu'une parenthèse totalement hors sujet). Tout est bien qui finit bien, cette expression si souvent répétée à tort et à travers (ou plutôt à tors et à travers, cf. le chapitre 1), signifie donc qu'une "bonne" fin, donc une fin conforme au bien, transmet a posteriori son bon caractère à l'histoire tout entière.

Évidemment, ça se discute. Thèse, antithèse, ad libitum, mais surtout pas de synthèse - la synthèse, c'est bon pour la parti socialiste, ça l'est moins pour les idées, au moins pour deux raisons. La première, c'est qu'il y a généralement encore moins loin de la synthèse à la confusion que du Capitole à la roche Tarpéienne. La seconde, c'est que c'est l'insolubilité d'une question qui fait son charme, car on peut en débattre indéfiniment, ce qui est quand même bien plaisant.

Pour la thèse, prenons par exemple la deuxième guerre mondiale. Bilan : soixante millions de morts, et l'élimination du nazisme en Europe. Personne, Dieu merci, n'aurait eu l'idée saugrenue de dire, au soir du 8 mai 1945 : tout est bien qui finit bien. Quelle que soit l'issue, le mal reste le mal, et ne se métamorphose pas miraculeusement en bien, même rétrospectivement, du fait que de ce mal ait pu naître un bien, même si l'on suppose que ce mal était le chemin inévitable pour atteindre ce bien.

Ce qui n'empêche pas qu'il faille parfois choisir, ou subir, le mal, pour qu'il en résulte un bien. Mais le bien qui s'ensuit ne guérit pas le mal, car les traces du mal demeurent, jusqu'à ce que l'oubli, peut-être, les efface, comme, dans la chanson, la mer efface les pas sur le sable.

Le mal n'est donc certainement pas aboli par le bien qu'il a permis d'engendrer. Mais serait-il pourtant justifié, dès lors qu'il aurait été le moyen nécessaire pour atteindre le bien ? Dit autrement, et plus prosaïquement, la fin justifie-t-elle les moyens ? Là, ça devient sérieux. Trop sérieux. Je vais donc laisser la question pendante pour aujourd'hui, et je vais de ce pas, dès que j'aurai achevé la relecture des Sylvain et Sylvette, me plonger dans celle de Saint Augustin et de Spinoza. J'y reviendrai peut-être un jour, inch'Allah.

D'ailleurs, cette expression n'est peut-être pas si fausse qu'elle en a l'air, au fond. Parce qu'il faut tenir compte de l'effet de perspective chronologique : l'atténuation progressive, par le temps qui passe, de la netteté des événements passés dans le cerveau humain ; ce qu'on appelle l'oubli.

L'oubli, c'est une bénédiction. Si on n'avait pas le bonheur d'oublier, on deviendrait inévitablement malheureux, certainement méchant, et probablement fou. Grâce à l'oubli, cet estompement progressif du passé dans la mémoire, l'événement le plus récent d'une série tend à donner sa couleur aux événements qui l'ont précédé.

Ainsi, une histoire parsemée d'événements tristes et qui se finit bien peut, par le miracle de l'imperfection de la mémoire humaine, se transformer en une belle histoire. Sauf, bien sûr, pour ceux qui préfèrent le chagrin à l'oubli, selon la jolie expression de Maurice Chapelan.

Évidemment, et malheureusement, si ça marche dans un sens, ça marche aussi dans l'autre. C'est-à-dire qu'une histoire qui aurait pu, qui aurait dû, laisser le souvenir d'une belle histoire, peut se trouver du jour au lendemain transformée rétrospectivement en une histoire misérable, princesse transformée en grenouille, du seul fait qu'elle a eu une fin misérable.

Heureusement, il y a des contre-exemples. Prenons la vie. La vie finit par la mort, en général (sauf improbable résurrection). La mort, on considère assez communément que c'est un mal, dont on se passerait volontiers.

Que la mort soit un mal, ça se discute, d'ailleurs. Car s'il y a mille façons de mourir, de belles et d'horribles, les plus belles étant généralement les plus courtes, et les plus longues les plus horribles, l'existence de la mort est une bénédiction dont nous devrions rendre grâce au ciel chaque jour, si le ciel y était pour quelque chose et qu'il pouvait, ou avait envie de, nous entendre : car qu'est-ce que la mort, sinon la fin de la vie, comme le disait fort justement ce bon M. de la Palisse ? Et que serait la vie, si elle n'avait pas de fin ? Comme le fleuve sans la mer qui l'accueille, comme la mer sans la terre qui l'embrasse, comme la terre sans le ciel qui l'enveloppe, la vie sans la mort, ça ne serait pas la vie.

Mais admettons un instant, pour les besoins de la discussion, que la mort soit bien un mal. Puisque la fin de la vie, c'est la mort, et que la mort, c'est mal, est-ce que, pour autant, la vie, c'est mal ? Vous, je ne sais pas, mais moi, je répondrais non.

Pour achever de se convaincre que tout ce qui finit mal n'est pas forcément si mal, on peut par exemple lire, ou écouter (par exemple ici, chanté par Maxime Le Forestier), ce très beau poème d’Antoine Pol, que Brassens a mis en musique.
Les Passantes
Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu'on connaît à peine
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais.
A celle qu'on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre
Et qui, preste, s'évanouit
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu'on en demeure épanoui.
A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu'on est seul, peut-être, à comprendre
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré la main.
A la fine et souple valseuse
Qui vous sembla triste et nerveuse
Par une nuit de carnaval
Qui voulut rester inconnue
Et qui n'est jamais revenue
Tournoyer dans un autre bal.
A celles qui sont déjà prises
Et qui, vivant des heures grises
Près d'un être trop différent
Vous ont, inutile folie,
Laissé voir la mélancolie
D'un avenir désespérant.
Chères images aperçues
Espérances d'un jour déçues
Vous serez dans l'oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu'on se souvienne
Des épisodes du chemin.
Mais si l'on a manqué sa vie
On songe avec un peu d'envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre
Aux cœurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu'on n'a jamais revus.
Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir.
Ça finit mal, non ? Et pourtant, c'est bien, non ? Et peut-être même que c'est parce que ça finit mal que c'est si bien...

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