lundi 30 avril 2012

La Proposition 21 de François Hollande

(ou : reparlons d'euthanasie)

La "proposition" n° 21 de François Hollande (qui reprend d'ailleurs la substance d'une proposition de loi examinée par le Sénat en 2010, et finalement rejetée le 25 janvier 2011) est ainsi rédigée :
« Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »
C’est une discussion récente sur le sujet avec une personne âgée qui me conduit à revenir sur le sujet de l’euthanasie, bien que j’en aie déjà longuement parlé dans ce blog, ici, et .
Le Bien contre le Mal ?
Une première conviction : aucune loi, sur un sujet touchant aussi profondément à l’humain, ne sera jamais totalement satisfaisante, et en tout cas jamais suffisante. La question est donc de trouver, hic et nunc, la moins mauvaise. Reste évidemment à discriminer, et à peser, le Bien et le Mal … tout le débat est là.
J’insiste sur cette idée que la loi, y compris lorsqu’elle touche aux domaines les plus personnels et aux questions d’éthique, n’est pas immuable, mais doit au contraire accompagner l’évolution des techniques et des mentalités. La Loi Léonetti  en vigueur depuis 2005, qui a constitué une évolution importante même si , pour ma part, je la trouve insuffisante, en est l’illustration : elle aurait tout simplement été impensable un demi-siècle plus tôt. La loi française actuelle relative à l’avortement - qui pose d’ailleurs des questions assez similaires, en particulier sur le rapport entre la personne qui demande et le médecin qui a a priori le pouvoir de dire non - en est un autre exemple.
Hollande contre Badinter ?
Robert Badinter (ancien Garde des Sceaux et à l'origine comme chacun le sait, avec François Mitterrand, de l'abolition de la peine de mort en France) est parfois appelé à la rescousse par certains des opposants à la proposition de François Hollande. A juste titre ?
Robert Badinter déclarait en 2008, lors des auditions de la mission Leonetti sur l’évaluation de la loi de 2005 - je me borne à en citer des extraits, mais il faudrait, sauf à risquer de trahir sa pensée, tout citer et tout lire :
« […] ma position fondamentale, bien connue, est simple et catégorique : le droit à la vie est le premier des droits de tout être humain - c’est le fondement contemporain de l’abolition de la peine de mort - et je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe. Tout être humain a droit au respect de sa vie, y compris de la part de l’État, surtout en démocratie. […] Nul ne peut retirer la vie à autrui dans une démocratie. […]
S’agissant de […] la liberté de se suicider, chacun est maître de son corps, et donc libre de disposer de son corps et de sa vie. En clair, cela signifie qu’il ne saurait être question de pénaliser le suicide ni la complicité du suicide. […] Dans ce débat qui se poursuit depuis si longtemps et qui n’est pas près de s’arrêter, ma position est celle que je viens d’évoquer : fournir à autrui des moyens de se donner la mort, ce n’est pas donner la mort, c’est prêter la main à un suicide. »
Je ne vois pas, pour ma part, en quoi la proposition de François Hollande, telle qu'elle est rédigée, contreviendrait aux principes rappelés par Robert Badinter - même si ce dernier considérait, en 2008, la loi Léonetti comme "satisfaisante". Et je n'ai pas entendu Robert Badinter prendre position sur la proposition de François Hollande.

Retour sur quelques arguments des opposants à la Proposition 21

Je ne reviens pas ici sur toutes les raisons pour lesquelles je réclame une loi qui me donne véritablement le droit de décider de mourir non pas lorsque les médecins le décideront, mais lorsque moi-même, ou mes proches, aurons eu notre lot de souffrance : on les trouvera ici.

Mais je suis parfois stupéfié par les arguments avancés par les défenseurs du maintien en l'état de la loi Léonetti. J'en reprends ici quelques uns.
« La loi permet aujourd'hui de traiter toutes les douleurs, d'apaiser toutes les souffrances. » Le Monde - 28 février 2012 - Louis Puybasset (directeur de l'unité de neuro-réanimation chirurgicale du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière), Claude Evin (ancien ministre PS des affaires sociales et de la santé).
On croirait du Kim Jong-il. Si c'était vrai, pourquoi donc y aurait-il débat ? Chacun sait bien que ce n'est pas la réalité.
« Il s'agit en pratique d'exiger du personnel soignant qu'il donne activement la mort, c'est-à-dire qu'il arrête le cœur du malade pour traiter sa souffrance. » Le Monde - 28 février 2012 - Louis Puybasset (directeur de l'unité de neuro-réanimation chirurgicale du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière), Claude Evin (ancien ministre PS des affaires sociales et de la santé).
Non, ce n'est pas de cela qu'il s'agit, ou du moins pas nécessairement. Et pourtant nous voilà à l'un des nœuds du débat : il s'agit d'exiger du personnel soignant un acte qui peut heurter sa conscience - par exemple celui de fournir au malade les moyens de mettre fin à sa vie - j'hésite à parler de suicide en l'occurrence. En d'autres termes, il s'agit d'échanger une moindre souffrance de quelques malades contre une plus grande souffrance de quelques soignants. D'ailleurs une autre phrase du même texte le confirme : cela risquerait de générer "une division dans les équipes soignantes". Comment dire plus clairement que, pour certains, les préoccupations relatives au confort moral des soignants passent avant celles relatives à la souffrance des malades ?
« Il ne s’agit donc pas tant de mourir dans la dignité que de vivre dignement et respecté en dépit de l’imminence d’une échéance. » La Croix - 24 janvier 2011 - Emmanuel Hirsch (professeur d’éthique médicale, université Paris-Sud XI, président du Collectif Plus Digne la vie).
L'éthique, pour moi, ça consiste aussi à s'interdire de penser pour les autres. A vrai dire, je n'aimerais pas tomber entre les mains de M. Hirsch lorsque mon heure viendra : il me ferait la leçon au lieu de m'aider à mourir.

« Une étude réalisée à partir d'entretiens révèle qu'une grande majorité des plus de 75 ans est opposée à l'euthanasie et fait confiance aux médecins pour les décisions de fin de vie. » Le Figaro - 16 octobre 2011 - Martine Perez , rendant compte des résultats d'une enquête sur les vœux en fin de vie des personnes âgées, réalisée par le Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin, dirigée par le Dr Véronique Fournier.
Ben oui, quoi, on ne va quand même pas faire une loi pour donner des droits aux 10% qui le réclament, puisque 90% ne le réclament pas ! D'ailleurs on devrait appliquer ce principe à tous les sujets, on aurait beaucoup moins de lois !
« Si on laissait au médecin un espace de liberté pour juger de ce qu'il a de mieux à faire pour son malade, plutôt que de tout vouloir légiférer... » Sud Ouest - 2 octobre 2011 - Jean-Pierre Chassaigne, propos recueillis par Dominique Richard.
C'est exactement le sujet. Et, pour ce qui me concerne, je réponds non, mille fois non, à cette proposition. Je refuse que ma vie, ou ma mort, soit décidée par les médecins.

« Dans les pays où l'euthanasie fut autorisée, des dérives et des abus scandaleux ont été constatés. » Le Monde - 14 février 2012 - Jean Léonetti.
Parce que, dans les pays - comme le nôtre - où elle ne l'est pas, on n'a constaté aucune dérive ni aucun abus, c'est bien connu. Le Docteur Bonnemaison, l'infirmière Christine Malève, n'étaient pourtant ni belges, ni suisses ?

« Nous sommes surpris que soit mis en avant par des parlementaires appartenant à la gauche un principe aussi fondamentalement ultralibéral que la prééminence absolue de l’autonomie individuelle. Une telle démarche génère toujours une majoration de l’inégalité entre forts et faibles. » Marianne - 29 janvier 2011 - Laure Copel (cancérologue, responsable des soins palliatifs à l’Institut Curie de Paris), Anne-Marie Dickelé (psychologue en soins palliatifs au CHU de Montpellier), Bernard Devalois (ancien président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs Sfap), Martine Ruszniewski (psychologue et psychanalyste), Gérard Terrier (chef du service d’accompagnement et de soins palliatifs du CHU de Limoges).
Je suis pour ma part surpris que des personnes supposées de gauche fassent si peu de cas de la liberté individuelle, que la loi a pour finalité, me semble-t-il, dans notre République, de protéger pour tous. Si la liberté individuelle est un "principe ultralibéral", alors nous sommes tous des ultralibéraux ! Je suis surpris que des hommes et des femmes de gauche ne réalisent pas que c'est la loi actuelle qui créée de l'inégalité entre ceux qui ont les moyens de décider de leur mort, le cas échéant en allant mourir dans un pays voisin, et ceux qui ne les ont pas. Je suis moins surpris lorsque je vois que cette forte déclaration est signée exclusivement par des médecins.

Pour conclure

Je ne prétends pas détenir la vérité, mais je défends une conviction, et je revendique un droit.

Je crois qu'il ne s'agit pas d'un choix entre le Bien et le Mal, mais d'un débat sur le moindre mal, qui est l'essence même du débat politique. Je crois que toutes les opinions de bonne foi sur le sujet méritent d'être entendues.

Je n'ai rien contre les médecins en général, dont je suis convaincu que la très grande majorité ont essentiellement en tête le bien-être de leurs patients. Mais je crois que les droits des malades doivent prévaloir sur le confort des médecins

Je préfère, s'agissant de circonstances où le pouvoir de faire ou de ne pas faire est entre les mains des médecins, que la loi soit la plus précise possible, donne le plus de pouvoir possible aux malades, et laisse le moins de liberté possible aux médecins.

Je constate que d'autres pays ont des législations différentes de la nôtre. Je constate aussi que des personnes qui en ont les moyens choisissent d'aller mourir en Suisse, comme d'autres y allaient, dans un passé pas si ancien, pour se faire avorter. Les plus pauvres n'ont évidemment pas cette liberté.

Je souhaite donc que, après un débat aussi large que possible (je n'ajoute pas "serein", ne rêvons pas), le Parlement qui sera élu en juin prochain se prononce, en conscience, sur une proposition de loi allant dans le sens proposé par François Hollande.

1 commentaire:

  1. J'ai peur que vous n'ayez pas perçu un des enjeux de la légalisation de l'euthanasie.

    Il est malheureusement risqué que la mort administrée comme calmant devienne coutumière et pratique, et qu'elle finisse par s'imposer d'autant plus facilement que les soins palliatifs sont aussi méconnus que la loi qui interdit l'acharnement thérapeutique. Certains demanderaient l'euthanasie par peur de souffrir, c'est à peu près ce qui se passe au Pays-Bas, de l'aveu même de la ministre qui a introduit l'euthanasie dans la loi (Mme Els Borst).

    Le risque est également grand que des personnes demande à mourir, en partie du fait d'une pression imaginaire ou réelle que leur mort soit hâtée.

    De même, la demande de mort étant parfois synonyme d'un autre appel au secours, il est fort probable que parmi les futurs euthanasiés, il y en ait certains dont l'appel revêtait une autre signification (moins de la moitié des demandes de mort persistent après placement en soins palliatifs... ce qui signifie que si on euthanasiait sur demande, une bonne moitié des patients ainsi traités seraient de trop)

    Que penser de l'évolution de cette loi dans plusieurs décennies ? Comment garantir que la société ne trouvera pas "plus normal" que les "vieux" ne "demandent pas à mourir plus dignement" ?

    On utilise fréquemment (moi-même d'ailleurs) l'expression "si j'étais comme lui, je me tirerais une balle !". Aujourd'hui, ce sont plutôt des paroles en l'air, relatives à des traits de caractères, et teintés d'humour au 3ème degré ou plus. Est-ce qu'on en rirait autant, si dans 30 ans, ces paroles étaient prononcées à notre égard, en toute sincérité ?

    Pour ces motifs, je pense que vous restreignez gravement le débat en le cantonnant à "échanger une moindre souffrance de quelques malades contre une plus grande souffrance de quelques soignants".

    Je pense qu'il pourrait plutôt se résumer en : "échanger une moindre souffrance (forte, certes) de quelques malades (en grande partie soulageable par les moyens médicaux et juridiques actuels) contre une pression au départ sur un très grand nombre de futures personnes âgées".

    Pierre

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