dimanche 17 juillet 2011

La musique qui marche au pas ...

"Le jour du 14 juillet
Je reste dans mon lit douillet
La musique qui marche au pas
Cela ne me regarde pas.

Je ne fais pourtant de tort à personne
En n'écoutant pas le clairon qui sonne
Mais les braves gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux. "

(Georges Brassens, la mauvaise réputation)


Ce 14 juillet, Eva Joly a suscité une jolie polémique en déclarant :
"Je pense que le temps est venu de supprimer les défilés militaires du 14 juillet, parce que ça correspond à une autre période. J'ai rêvé que nous puissions remplacer ce défilé [militaire] par un défilé citoyen où nous verrions les enfants des écoles, où nous verrions les étudiants, où nous verrions aussi les seniors défiler dans le bonheur d'être ensemble, de fêter les valeurs qui nous réunissent".
Il faudra évidemment se souvenir de la réaction indigne et inacceptable de François Fillon, Premier Ministre de la France, déclarant que "cette dame n'a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l'histoire française". On y entend le mépris (ah ! comme le "cette dame" fleure bon la tradition française, et la misogynie qui va avec !), on y entend surtout cette idée, si contraire aux valeurs françaises, qu'un Français qui n'est pas "de souche" n'aurait pas de légitimité à exprimer une opinion sur une tradition française plus ancienne que la date de sa naturalisation. Marine Le Pen, avec d'autres mots, ne dit pas autre chose : "Je ne crois pas, dit-elle, qu'il soit légitime de se présenter à la présidence de la République quand on est devenu français tardivement [je suppose qu'elle voulait dire "récemment"] ... Mme Joly ne comprend absolument rien aux liens extrêmement profonds qui existent entre le peuple français et son armée".

Mais puisque F. Fillon évoque l'Histoire de France, il n'est pas inutile de la rappeler. Beaucoup l'ont fait ces jours-ci, grâce en soit rendue à Eva Joly.

J'ai retenu que le 14 juillet était une fête populaire depuis la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, premier anniversaire de la prise de la Bastille. Qu'elle est devenue une fête militaire pour la première fois sous le Directoire. Qu'elle a été instituée Fête Nationale, avec défilé militaire obligatoire, en 1880, sous la IIIème République (ce qui est incontestablement antérieur à l'acquisition par Eva Joly de la nationalité française). Que c'est à cette même période (en 1879 précisément) que La Marseillaise, chant guerrier s'il en est, a été ré-instituée Hymne National (après avoir été décrétée une première fois "chant national" par la Convention en 1795, puis interdite sous l'Empire et la Restauration). Que cette fête devait être, dans l'esprit des parlementaires de 1880, le symbole de la réconciliation et de l'unité nationale, comme l'avait été la Fête de la Fédération en 1790  (voir notamment ici)

J'ai retenu aussi que le défilé militaire institué en même temps que la Fête Nationale avait vocation, dix ans après la défaite de Napoléon III contre la Prusse et la perte de l'Alsace et de la Lorraine, à "montrer le redressement militaire de la France après la défaite de 1870 et [...] entretenir dans l'opinion publique l'esprit de mobilisation pour recouvrer, grâce à l'armée, les provinces perdues" (voir ici).

Rue St-Denis, 30 juin 1878
1878, Claude Monet
J'ai découvert à cette occasion que le célèbre tableau de Monet représentant une multitude de drapeaux tricolores agités aux fenêtres ne représentait pas le 14 juillet comme je le croyais, mais le 30 juin 1878 (il en a même peint deux ce jour-là : un dans la rue Montorgueil, un second dans la rue Saint-Denis). En 1878, le 14 juillet n'était pas encore Fête Nationale. Cette année-là eut lieu le troisième Exposition Universelle à Paris. Et une grande fête populaire fut organisée le 30 juin à cette occasion, où l'on célébra "la paix et le travail". "Ce jour-là, qui débuta par l’inauguration de la statue de la République de Clésinger au Champ-de-Mars, Paris ne fut plus que lampions, lumières et musique ; pas une rue, pas une maison qui ne fût pavoisée d’oriflammes et de drapeaux. Le spectacle, unique et grandiose, devait marquer la foule immense qui, de l’aube jusque tard dans la nuit, envahit les places, jardins, boulevards et jusqu’aux plus petites rues, qui devinrent autant de lieux à célébrer par le chant, la poésie, le dessin ou la peinture." (voir ici). On est aux antipodes d'un défilé militaire !

Rue Montorgueil, 30 juin 1878
1878, Claude Monet
J'en ai conclu que la proposition d'Eva Joly, bien loin de renier l'histoire de la France, tendait plutôt à vouloir rendre à cette fête son sens originel.

Il n'est certes pas inutile de marquer le lien qui unit l'ensemble des citoyens à leur armée. Ni superflu de rendre hommage aux soldats qui meurent dans des opérations justes. Mais est-il à ce point absurde ou scandaleux de s'interroger sur le sens qu'a, dans le monde d'aujourd'hui, ce déploiement martial ? A qui donc la France a-t-elle besoin de montrer ses muscles ? N'a-t-elle rien de plus beau, ou de plus fort, à proposer à ses citoyens et au monde ? Est-il si illégitime de considérer comme quelque peu anachronique, et attristant, que la Fête Nationale de la France reste symbolisée par une armée qui défile sur les Champs-Elysées, comme si le monde n'avait pas changé depuis 1870 ?

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