dimanche 13 mars 2011

Marine et le tsunami


Certains semblent s'étonner de l'ampleur et de la rapidité de la montée de Marine Le Pen dans les sondages. C'est leur étonnement qui est étonnant.

Voilà des mois que la "stratégie" électorale de Sarkozy et d'une partie de l'UMP consiste à reprendre les thèmes favoris du Front National, en particulier ceux concernant l'immigration et l'islam. L'idée était simple : il s'agissait de couper l'herbe sous le pied du FN et de sa présidente, et d'aspirer son électorat vers Nicolas Sarkozy, comme François Mitterrand l'avait fait en son temps, avec succès, pour le Parti Communiste.

Le problème, c'est que ça n'a pas marché, et qu'il y a de moins en moins de chances que ça marche : plus Sarkozy et l'UMP en remettent sur le sujet, plus Marine Le Pen progresse dans les sondages.

Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi ça ne marche pas : à force de rodomontades, Sarkozy est devenu inaudible. Sa parole ne porte plus, sur aucun sujet. Elle ne sert plus, aujourd'hui, qu'à banaliser et renforcer celle de Marine Le Pen.

Il faut dire que Nicolas Sarkozy et la droite de l'UMP ne sont pas les seuls responsables de la banalisation des discours du Front National. Chaque fois qu'Eric Zemmour, par exemple, ouvre la bouche, il contribue à dé-diaboliser ces discours. Même chose pour tous ceux qui ont défendu le "débat sur l'identité nationale", ou qui défendent aujourd'hui la récidive que constitue celui sur l'islam en France (dit "sur la laïcité", comme si la France avait besoin d'un "débat" sur le sujet).

Marine Le Pen n'est pas non plus pour rien dans la situation. Jean-Marie Le Pen avait certainement atteint le niveau d'attractivité maximal qu'il pouvait atteindre. Du fait notamment de ses outrances verbales, il ne pouvait rester que marginal. Jean-Marie Le Pen était infréquentable : c'est ce qui avait fait son succès, c'est aussi ce qui faisait ses limites. Habilement, Marine Le Pen, sans rien renier des idées défendues par son père, mais en en gommant les aspects les plus provocateurs, est devenue tout simplement fréquentable : il n'est que de voir la différence de traitement, de la part des journalistes, par rapport à lui. Une femme fréquentable, défendant des idées fréquentables puisque défendues par quantité d'autres gens fréquentables : voilà ce qu'est aujourd'hui Marine Le Pen.

Les commentaires postés sur internet, sur n'importe quel site et à propos de n'importe quel sujet touchant à la politique intérieure, sont d'ailleurs aussi édifiants qu'inquiétants : il n'y a plus en France aucun tabou sur les sujets portés par le Front National. Un flot de boue verbale submerge le web comme le flot de boue réelle a submergé la côte japonaise. Et, tout comme le tsunami, dès lors que les digues ont été franchies, rien ne semble pouvoir l'arrêter.

L'assourdissant silence politique qui a suivi les derniers sondages est aussi révélateur. Presque tous les hommes et femmes politiques, faute de mieux, ont critiqué les sondages, ou les sondeurs. Tous ont désigné des "coupables" - les autres, bien sûr. Mais a-t-on entendu la moindre réaction réellement politique ? La classe politique française, dans son ensemble, paraît tétanisée. Quel est l'homme ou la femme politique, en France, qui propose une alternative réelle, crédible, et susceptible de faire reculer la vague Marine ?

Car la question de l'alternative à Sarkozy est, je le crains, dépassée. Ce qu'il faut craindre pour 2012, ce n'est pas tant un 21 avril, à l'endroit ou à l'envers, qui semble sinon probable du moins plausible : ce qu'il faut craindre, c'est que la combinaison d'une situation économique dégradée, de l'échec politique de Nicolas Sarkozy, d'une totale banalisation des discours de l'extrême droite populiste, et d'une absence de réponse politique sérieuse à ces discours, conduise à l'élection de Marine Le Pen en 2012. Vu d'aujourd'hui, bien imprudent serait celui qui prétendrait que c'est impossible.

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