dimanche 11 mars 2012
Cette campagne m'em... et la France m'inquiète
Cette campagne électorale commence sérieusement à me courir sur le haricot (j'invite les hypothétiques lecteurs de ce billet qui s'interrogeraient sur l'origine de cette expression à rendre visite à cette adresse pleine de ressources et d'humour).
Un concours de démagogie
Les deux candidats auto-déclarés principaux, et entretenus comme tels par la plupart des medias, secondés par leurs porte-flingue et autres porte-serviette attitrés, ont engagé une compétition de démagogie, tout en s'efforçant l'un comme l'autre de ne surtout rien dire de sérieux et d'honnête sur les choses importantes.
On débat ainsi pendant des jours du mode d'abattage du bétail (la grande et belle et utile controverse que voilà, où se jouerait donc l'avenir de la France !) ; on invente des lois improbables pour faire plaisir à tel ou tel groupe d'électeurs, tout en sachant qu'elles ne seront jamais appliquées ; chacun désigne à la vindicte populaire les boucs émissaires propres à satisfaire sa clientèle électorale, l'un visant de préférence les chômeurs, les immigrés et les musulmans, l'autre les riches, les dirigeants des pays voisins, et les forces invisibles de la finance internationale, et tous les deux les Chinois, coupables de voler nos emplois, et menaçant en plus de nous manger tout entiers ...
Et tous deux espèrent bien, de petite phrase en petite phrase, une polémique chassant l'autre, tenir jusqu'au jour J sans avoir le moins du monde parlé des sujets qui risqueraient de fâcher leurs électeurs respectifs.
Entendons-nous bien, je ne mets pas sur le même plan François Hollande et Nicolas Sarkozy, et s'il fallait un jour, comme ça semble malheureusement probable, choisir entre les deux, mon cœur ne balancerait pas : entre la démagogie lâche mais généreuse de l'un, et celle de la stigmatisation des étrangers et des chômeurs, je préfère encore la première, même si elle nous prépare sans aucun doute des lendemains qui déchantent.
Mais au-delà de l'exaspération, cette campagne m'inquiète.
Le refus de parler des vrais sujets
Elle m'inquiète d'abord par le manque de courage des fameux "candidats principaux".
On n'ose pas parler sérieusement de l'Europe. Parce qu'en parler sérieusement, ça obligerait à renoncer à faire semblant de croire que la France est encore la puissance dominante de l'Europe, alors qu'il est clair que c'est à l'Allemagne que revient désormais ce rôle ; ça obligerait à dire que l'Europe est à la France ce que, si on en croit Louis Aragon, la femme est à l'homme, c'est-à-dire son avenir, alors qu'on a passé son temps à expliquer aux Français que l'Europe était malade, incapable de sauver ses membres de la faillite, et inféodée aux forces obscures et maléfiques de la finance mondiale.
On n'ose pas parler sérieusement de la dette. Parce qu'il faudrait dire des choses désagréables à entendre, par exemple qu'il faudra désormais, sinon la rembourser, du moins cesser sans délai de la faire grossir, sauf à se retrouver rapidement dans la situation des Grecs, puis rapidement la réduire, et que cela suppose que l'Etat et les collectivités locales réduisent leurs dépenses. Mais c'est tellement plus facile de dire qu'il suffit pour l'un de cesser de payer les chômeurs à ne rien faire, ou pour l'autre de faire payer les riches et de "prendre le contrôle de la finance", comme ils le disent, alors qu'on sait bien que ça ne résoudra rien du tout, et que le remède risque même d'être pire que le mal !
On n'ose pas parler sérieusement d'énergie, et encore moins d'environnement. Parce qu'on a bien trop peur de déplaire à tous ceux qui ne veulent plus du nucléaire, qui contribue pourtant à rendre notre industrie plus compétitive ; d'indisposer tous ceux qui ne veulent pas du gaz naturel qu'ils ont peut-être sous les pieds ; de défriser tous ceux qui croient qu'on pourrait remplacer tout cela par les miraculeuses énergies renouvelables, potion magique dont on n'a pas encore trouvé la recette mais dont le coût sera exorbitant pour les consommateurs français.
Une gauche régressive
Cette campagne m'inquiète aussi, et peut-être plus encore, par ce qu'elle montre de l'incapacité de la France à progresser en se confrontant au monde réel, au lieu de rester accrochée à ses rêves ou à ses peurs.
Et de ce point de vue, la gauche m'inquiète plus que la droite.
La droite, on la connaît, elle ne change pas, elle reste fidèle à ses codes et à ses valeurs. Et il faut admettre que, lorsqu'on la compare à son homologue républicaine des Etats-Unis d'Amérique, la droite française apparaît presque comme un avatar du socialisme, ou au moins de la social-démocratie. Elle a certes mal géré la France depuis dix ans, mais je crois que ce n'est pas parce que c'était la droite, mais plutôt parce que Chirac et Sarkozy ont été de mauvais gestionnaires.
Surtout, la droite ne m'inquiète pas parce que je crois bien qu'elle a déjà perdu l'élection.
Quant à la gauche qui, sauf le cas improbable d'un effondrement de Sarkozy entraînant une qualification de Bayrou pour le second tour, devrait remporter cette élection, ce n'est pas tant ce qu'elle fera une fois au pouvoir qui m'inquiète - j'ose espérer qu'elle fera moins de bêtises qu'elle n'en promet -, mais c'est plutôt ce qu'elle ne fera pas, empêtrée qu'elle sera dans le discours qu'elle tient aujourd'hui.
J'avais cru, ces dernières années, que le parti socialiste avait pris la mesure des enjeux du vingt-et-unième siècle. Qu'il avait compris que le progrès social non seulement n'était pas incompatible avec une économie plus libérée, plus ouverte sur l'Europe et sur le monde, mais qu'il en dépendait. Qu'il avait réalisé que les recettes et les discours du dix-neuvième siècle ne pouvaient pas fonder une politique aujourd'hui, et qu'il était prêt à porter ce discours auprès de ses électeurs.
Et au lieu de cela, ce sont aujourd'hui les Montebourg et les Mélenchon, porteurs des discours les plus archaïques d'une gauche régressive, repliée sur elle-même et sur ses mythes (en oubliant d'ailleurs au passage celui de l'internationalisme), qui donnent le la de la campagne de François Hollande.
Une occasion manquée
L'occasion était pourtant belle : le discrédit de Nicolas Sarkozy ouvrait un boulevard à une gauche moderne et décomplexée par rapport au fonctionnement de l'économie mondialisée, qui aurait permis à la France de reprendre le leadership en Europe sur la base d'un programme social-démocrate offensif. François Hollande n'a pas su la saisir, et son discours d'aujourd'hui risque fort de l'empêcher, nolens volens, d'agir dans ce sens. S'il est élu, la France risque ainsi de perdre cinq ans, et la gauche française de rester à la traîne.
Dommage.
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