3ème partie : les morales de cette histoire
Dans les deux billets précédents, je me suis intéressé aux débats et aux volte-face du gouvernement de Jean-Marc Ayrault sur deux évolutions potentielles de la fiscalité française : l'inclusion des œuvres d'art dans l'assiette de l'ISF, et la taxation des plus-values de cession des parts d'entreprise.
De ces deux épisodes je tire deux leçons.
La première leçon, c'est que, quand on veut réformer, deux ingrédients sont essentiels à la réussite de l'opération :- une colonne vertébrale, c'est-à-dire un corps de doctrine suffisamment solide, stable et cohérent pour ne pas être emporté par la première bourrasque,
- une rigoureuse préparation, et en particulier une concertation préalable approfondie avec l'ensemble des acteurs concernés, pour éviter autant que possible les surprises, et pouvoir réagir aux événements imprévus de façon appropriée sans donner l'impression de se renier.
La mesure proposée sur la taxation des plus-values, par exemple, était loin d'être scandaleuse en soi. Elle aurait donné un signal de justice fiscale. Elle n'aurait probablement eu que des impacts très limités sur l'économie française si elle avait été proprement préparée - et donc notamment soigneusement calibrée.
Mais les maladresses du gouvernement, la communication désastreuse qui a accompagné la proposition, et le compromis bancal qui est finalement sorti de tout cela, avec une taxation excessive pour les uns, et la création d'une nouvelle niche fiscale au bénéfice des autres, ont sans nul doute installé un climat de méfiance qu'il sera difficile de surmonter, et qui rendra les prochaines réformes encore plus difficiles. Le gouvernement a gaspillé là un des rares jokers dont il pourra faire usage. Comme le disait le bon Sénèque : « Il n'est pas de vent favorable à celui qui ne sait pas où il va ».
La seconde leçon, c'est qu'une grande confusion mentale règne sur la nature de l'impôt, en particulier de l'impôt des personnes physiques.
Cette confusion naît de l'idée, plus ou moins explicite, mais assez largement répandue, selon laquelle la fiscalité serait, par vocation, punitive : punition des "trop riches", punition des "riches qui ne le méritent pas".
C'est une idée qu'il faut combattre résolument.
Certes, il peut y avoir, ici ou là, des instruments fiscaux de la nature de la carotte ou du bâton. Les coups de pouce fiscaux qu'on appelle, de façon très inappropriée, les "niches fiscales", peuvent être justifiés par l'intérêt général. L'idée des bonus et malus fiscaux peut être une bonne idée, par exemple en matière d'incitation à la performance environnementale.Mais en voulant faire jouer à la fiscalité des particuliers un rôle généralisé de gendarme des mœurs, on se trompe à coup sûr : on se trompe de cible, on se trompe d'instrument.
Il n'y a qu'un critère de l'argent bien ou mal gagné : c'est la loi. L'argent est gagné légalement, ou illégalement. Le reste, c'est soit de la défense d'intérêts corporatistes, soit de la démagogie, soit les deux. Les propos de la ministre Fleur Pellerin pour justifier la reculade du gouvernement illustrent parfaitement cette confusion entre flagornerie clientéliste, morale de bazar et politique fiscale :
« Nous avons voulu faire la différence entre ceux qui suent sang et eau, qui créent des emplois, qui prennent des risques et ceux qui se contentent de confier les parts d’entreprise qu’ils détiennent à leurs banquiers ou à des gestionnaires de fonds... Il n’y a rien de commun entre un chef d’entreprise de 10, 15, 20 salariés et un patron salarié du CAC40, qui après un an de mauvais services part avec des millions d’euros [...]. Il est normal que des gens puissent s’enrichir beaucoup s’ils ont pris le risque de créer une entreprise, s’ils ont eu une super bonne idée, s’ils ont su la faire fructifier et s’ils ont créé des emplois. »Il faut remettre dans l'esprit des citoyens que l'impôt, ce n'est pas une punition pour ceux qui gagnent beaucoup d'argent ; et encore moins un châtiment sélectif pour l'argent "mal gagné": c'est la contribution de chacun aux dépenses de la collectivité à laquelle ils appartiennent. Et cette contribution ne doit pas reposer sur un jugement prétendument moral sur l'origine de la richesse : elle doit simplement être juste, c'es-à-dire justement proportionnée à la capacité contributive de chacun.
Ce n'est qu'à cette condition qu'on pourra construire un système fiscal équitable, socialement acceptable et efficace.
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