Parmi les différents types d'électeurs potentiels, il y en a un dont on ne parle pas suffisamment - ou dont on parle trop, selon les goûts : c'est le militant Voteblanchiste.
La revendication Voteblanchiste
La revendication Voteblanchiste ressurgit à chaque élection,
avec une récurrence typique du syndrome obsessionnel : les lois électorales -
en particulier celle relative à l'élection présidentielle - doivent "reconnaître
le Vote Blanc" (sic).
Je dois dire que mon esprit cartésien a du mal à concevoir
comment une revendication aussi absurde peut susciter une telle passion, de
tels débats et une telle débauche de manifestes et de raisonnements, y compris chez
des personnes apparemment normalement douées de raison, sinon de bon sens.
On peut comprendre le point de départ de la démarche du
Voteblanchiste : lorsqu'aucun des candidats ne le satisfait, il aimerait avoir
la possibilité le faire savoir par son vote, plutôt que de se contenter de s'en
plaindre auprès de ses proches ou de ses compagnons de machine à café, ou de s'épancher
sur internet en espérant qu'on l'y lise, voire qu'on le soutienne dans sa quête
obstinée. Et il voudrait que le monde sache combien d'électeurs (ou plutôt de
non électeurs, en l'occurrence) pensent de même.
Car le Voteblanchiste, bien que ne voulant à aucun prix
voter pour un candidat, s'investit dans l'élection : il fait l'effort de se
déplacer pour aller mettre son bulletin, blanc, dans l'urne. Et il souhaiterait
qu'on lui sache gré de cet effort, qu'il considère méritoire. Un peu comme
l'élève qui, bien que nul (blanc ou pas, ce n'est pas la question en
l'occurrence, et je ne souhaite pas ouvrir ici le débat sur le lien supposé
entre la réussite à l'école et la couleur de peau), s'est déplacé pour son oral
mais n'est pas capable de répondre à la question posée : l'examinateur se
sentira obligé de lui donner un point, pour le déplacement. Pourquoi donc le
Voteblanchiste n'aurait-il droit à aucune reconnaissance ?
Mais surtout, le Voteblanchiste a une hantise : qu'on le
confonde avec l'une ou l'autre des autres catégories d'inscrits sur les listes
électorales n'ayant voté pour personne. Il est vrai que ces catégories sont
nombreuses, et variées.
L'Abstentionniste
Il y a l'Abstentionniste bien sûr, avec de nombreuses
sous-espèces : l'Apolitique, qui s'en tape et n'en a pas honte ; l'Indifférent,
qui trouve les candidats en présence sont tous également excellents, ou
également incompétents ; l'Hypocrite, qui serait bien allé voter mais qui n'a
pas pu parce que justement ce jour-là il a été obligé d'aller rendre visite à sa
belle-mère ; le Négligent, qui a oublié de s'inscrire sur les listes
électorales, ou qui est inscrit ailleurs ; l'Occupé, qui est parti trop tôt, ou
rentré trop tard, pour pouvoir aller voter ; le Malchanceux, qui s'est foulé
une cheville en glissant sur une merde de chien sur le chemin du bureau de vote
; le Résigné, qui pense que son vote ne sert à rien ; l'Indécis, qui hésite entre
les candidats sans parvenir à se décider jusqu'à l'heure de fermeture des
bureaux de vote ; sans parler du Révolutionnaire, qui pense que les élections sont
des pièges à c… Et j'en passe.
Mais le point commun à tout Abstentionniste, c'est qu'il n'a
pas fait l'effort minimal que doit faire tout bon citoyen le jour de l'élection
: retrouver sa carte d'électeur,
évidemment égarée depuis le précédent scrutin ; renoncer, en partie voire en
totalité, à la merveilleuse partie de campagne prévue de longue date avec
belle-maman ; se déplacer jusqu'au bureau de vote, au risque de l'accident de
trajet, ou d'une averse imprévue alors qu'on a oublié son parapluie, ou encore d'une
rencontre avec la voisine trop bavarde, avec laquelle il faudra tailler une
bavette pendant dix bonnes minutes alors que c'est l'heure de l'apéro ; prendre
un, et un seul, bulletin de chaque candidat dans le distributeur prévu à cet
effet, en s'efforçant de ne pas se lécher les doigts parce que ça ne se fait
pas ; mettre le bulletin choisi dans l'enveloppe sans se couper, et re-vérifier
une dernière fois qu'on n'y a pas glissé le mauvais bulletin ; faire la queue
devant l'urne et ses gardiens, sortir de sa poche (mais laquelle, bon sang ?) sa
carte d'identité et sa carte d'électeur péniblement retrouvée, et laisser enfin
glisser, délicatement, voluptueusement, l'enveloppe dans l'urne, en laissant
échapper un soupir de plaisir …
Honni soit donc l'Abstentionniste.
Le Votenulliste
Il y a aussi le Votenulliste. Là encore, il a quantité de
sous-espèces : le Distrait, qui met par erreur dans l'enveloppe sa liste de
courses au lieu du bulletin qu'il a préparé ; le Tricheur, qui met dans
l'enveloppe deux bulletins de son candidat préféré en
espérant que ça ne se verra pas ; le Simplet, qui n'a pas compris la règle du
jeu et croit qu'il faut mettre tous les bulletins dans l'enveloppe sans en
omettre un seul ; l'Artiste, qui ne sait pas lire et qui agrémente son bulletin
d'un petit dessin de son candidat préféré ; le Scriptomane, qui accompagne son
vote d'une dédicace personnelle, insulte ou déclaration d'amour, au candidat ou
à la candidate ; le Timide, qui a remarqué une jolie fille parmi les
scrutateurs du bureau de vote et qui met dans l'enveloppe un billet doux à son
intention en espérant qu'elle le dépouillera (le bulletin) …
Ainsi, pas plus qu'on ne saurait mélanger les torchons avec
les serviettes, et même si le Votenulliste a le mérite, contrairement à l'Abstentionniste,
d'avoir fait le déplacement, on ne saurait mettre dans la même urne le Votenulliste
et le Voteblanchiste.
Honni soit donc aussi le Votenulliste.
Vrais et faux Voteblanchistes
Admettons alors, pour un instant de déraison, qu'on
reconnaisse, parmi tous ces récalcitrants du suffrage exprimé, les mérites
éminents du Voteblanchiste.
Mais voilà que surgit un nouveau problème : Marine Le Pen
vient de déclarer qu'elle allait voter blanc. Bien sûr, on ne peut pas être
surpris que, compte tenu de ses préférences ethniques, Marine Le Pen vote
blanc. Mais quand même : un honnête Voteblanchiste peut-il accepter d'être
confondu avec un Voteblanchiste mariniste ? Que nenni ! répond le
Voteblanchiste outré. Mais alors, comment distinguer les vrais Voteblanchistes de
ceux dont le Voteblanchisme n'est que le faux nez du lepénisme ou, pourquoi
pas, du bolchévisme ?
Et à la fin, so what ?
Supposons malgré tout que l'on puisse in fine faire le tri
entre les véritables Votes Blancs, ceux des Voteblanchistes pur jus, et les
votes blancs d'usurpateurs. Mais vient alors la question qui tue : pour quoi en
faire, grands dieux ?
La réponse, évidente, aveuglante d'évidence même, sauf pour
celui qui ne veut pas voir, c'est : rien. On ne peut rien en faire, en tout cas
rien d'utile ni d'intelligent.
Bien sûr, on peut les compter, en les distinguant des votes
nuls (sans oublier cependant qu'il y aura des bulletins à la fois blancs et
nuls : parce que la couleur du papier ne sera pas exactement le blanc
réglementaire, parce qu'il aura un coin corné, parce que l'électeur peu
soigneux y aura laissé un trace de doigt sale en le pliant pour le glisser dans
l'enveloppe, …). Mais qu'est-ce qu'on fait ensuite ?
Eh bien on fait comme on a toujours fait : on compte les
suffrages exprimés pour l'un ou l'autre des candidats, et celui qui a le plus
de voix l'emporte. C'est ce qu'on appelle le scrutin majoritaire. Et donc le Voteblanchiste,
s'il a eu la satisfaction intellectuelle de voir son bulletin comptabilisé à
part, se retrouve à la fin dans le grand chaudron où finissent tous ceux qui
n'ont choisi aucun des candidats en présence. Un peu comme le tri sélectif : on
trie soigneusement ses déchets pour les mettre dans la poubelle qui va bien, et
ensuite toutes les poubelles de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel sont
mélangées dans la même décharge multicolore.
Qu'on ne me fasse pas dire néanmoins que le vote du
Voteblanchiste, ou plutôt son absence de vote, n'a servi à rien : s'il avait
voté pour l'un ou l'autre des candidats, la face du monde eût pu en être changée.
C'est donc à juste raison qu'on dit que s'abstenir (sous-entendu : s'abstenir
de voter pour un des candidats, y compris sous la forme d'un Vote Blanc) c'est
aussi voter.
On pourrait bien sûr imaginer un autre système : que le Vote
Blanc soit un vote de récusation, et qu'une majorité relative de Votes Blancs
se traduise par la nullité de l'élection. Il suffirait alors, comme à
l'Académie, de tout recommencer à zéro, jusqu'à ce qu'un des candidats obtienne
plus de suffrages que ne seraient exprimés de Votes Blancs. Et en attendant ce
moment, attente qui pourrait en théorie durer éternellement, les gouvernants en
exercice continueraient d'exercer, y compris dans le cas où le Président
sortant serait l'un des candidats ainsi récusés, y compris donc dans le cas où
ce même Président-candidat aurait obtenu un moins grand nombre de suffrages que
son concurrent …
Je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire, ni charitable, de
poursuivre.
Laissons donc le Vote Blanc, et le Voteblanchisme militant,
là où ils sont. Et que vive le suffrage universel, où l'on se contente de
choisir, à défaut du meilleur, le moins mauvais !
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