Peut-on améliorer la maîtrise des risques du nucléaire ?
• L'analyse du risque doit être globale. A partir d'un certain niveau de sophistication, l'augmentation de la maîtrise technicienne des risques peut être contrebalancée par une diminution de leur maîtrise humaine. L'exemple de la crise des subprimes est édifiant à cet égard : la sophistication extrême des modèles, en donnant l'impression d'une parfaite maîtrise des risques, a occulté l'existence d'un risque majeur mais invisible parce que situé au-delà des modèles. Il en va de même pour les installations industrielles complexes : le rapport Roussely sur la filière nucléaire française avait d'ailleurs attiré l'attention sur ce risque dans le cas de l'EPR.
• Comme tout "cygne noir" (cf. le livre de N-N. Taleb, "The Black Swan"), la catastrophe de Fukushima est explicable a posteriori, et aurait pu être évitée si des décisions différentes avaient été prises, soit pour la conception de l'installation, soit pour la gestion de la crise. Mais il ne sert à rien de chercher des coupables, ce sont des solutions qu'il faut chercher et trouver.
• Il est vraisemblable que les conséquences de la catastrophe de Fukushima auraient pu être réduites si les décisions les plus protectrices avaient été prises immédiatement. Il est donc indispensable que l'ensemble de l'industrie nucléaire travaille sur "la gestion opérationnelle des situations accidentelles" (cf. lettre de F. Fillon à l'ASN), en prenant notamment en compte la disparition éventuelle, ou l'état de choc psychologique, des personnels de l'installation, voire du pays concerné, en cas d'accident majeur.
• L'idée est souvent défendue selon laquelle le nucléaire est une activité trop grave pour être confiée au secteur privé. Pourtant :
• On peut se demander aussi si l'existence d'un opérateur unique et très puissant dans un pays donné (comme EDF en France) n'est pas un facteur d'aggravation du risque, du fait notamment d'une moindre diversification (amplifiant le caractère systémique du risque) et du danger de "captation" par cet opérateur des instances politiques ou de contrôle.
- Tepco est certes une entreprise privée, mais Tchernobyl a été construite, et était exploitée, par une entité d'Etat ;
- les accusations portées contre Tepco concernent en particulier son absence de transparence, et ses liens plus ou moins incestueux avec l'Etat, avec le "lobby nucléaire", avec les instances de contrôle : n'entend-on pas exactement les mêmes reproches formulés à l'égard d'une entreprise publique comme EDF ?
- les exemples sont nombreux dans le monde d'entreprises privées construisant et exploitant des centrales nucléaires (pour l'Europe, c'est le cas notamment en Belgique, en Allemagne, en Grande-Bretagne), sans que quiconque ait mis en évidence un écart en matière de sécurité par rapport aux entreprises publiques.
• Plus que la question du caractère public ou privé de l'exploitant, la question essentielle est en effet celle du contrôle. Comme tout contrôle, celui des activités nucléaires doit allier une expertise de haut niveau, une totale indépendance par rapport aux entreprises contrôlées, et l'autorité pour punir. L'exemple du contrôle des médicaments en France a montré combien il était facile de mettre en place un dispositif non seulement inefficace, mais dangereux par l'illusion de sécurité qu'il donne. S'assurer en permanence de l'efficacité du dispositif de contrôle doit être, pour les pouvoirs publics, une priorité absolue.
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