jeudi 25 août 2011
Vous reprendrez bien un peu de DSK ?
Nous sommes submergés, ad nauseam, par les commentaires sur l'affaire DSK. Ca devient franchement insupportable et répugnant : la Libye est en révolution, on massacre la population en Syrie, on meurt de faim en Somalie, la tension monte entre l'Egypte et Israël, le chômage s'aggrave, et les journaux, la radio, la télé, nous rebattent les oreilles à longueur de temps avec un fait divers certes passionnant, comme beaucoup de faits divers, mais qui n'est qu'un fait divers sordide : une affaire de sexe impliquant un ancien directeur général du FMI et ancien ministre français, affaire dont le dernier épisode en date est une décision de non-lieu prononcée par le juge en charge de l'affaire.
Je sais, j'en rajoute une couche en écrivant ce post ... Je me rassure en me disant que je n'écris que pour moi : le mal est donc limité.
C'est vrai, au fond, que les faits divers sont passionnants. Parfois par le caractère de feuilleton, ou de roman policier, de leur déroulement. Parfois du fait de la personnalité de leurs protagonistes, et de leur familiarité avec le public. Souvent par les commentaires qui l'entourent. Mais aussi, presque toujours, par ce qu'ils nous disent sur nous-mêmes, nos congénères et notre société en général. Au total le fait divers, parce qu'il touche au domaine de l'interdit et de la transgression, passionne au-delà du raisonnable dès lors qu'il résonne avec quelque chose de profond chez les gens.
Comme le disent justement Paul Pelckmans et Bruno Tritsmans (Écrire l'insignifiant : dix études sur le fait divers dans le roman contemporain) : "Le fait divers, c'est le monde du sexe, du sang, de la mort, de la cruauté, bref, tout ce qui constitue la face d'ombre d'une société [...]". C'est bien la raison pour laquelle la littérature s'en est si souvent saisie comme matière première (Madame Bovary n'est rien d'autre que l'histoire d'un fait divers réel - en l'occurrence, la relation était apparemment consentie).
Voici donc quelques commentaires supplémentaires sur l'affaire DSK, et sur les commentaires d'icelle.
DSK est seul responsable de ce qui lui est arrivé
On ne saura sans doute jamais ce qui s'est réellement passé dans la suite 2806 du Sofitel de New York le 14 mai 2011. Mais, quoi qu'il en soit, personne d'autre que DSK lui-même ne peut être tenu pour responsable de sa chute : ni Nafissatou Diallo, qui a fait (après la chose) ce qui lui semblait bon pour elle, et qui n'a été crue au départ de l'affaire que parce qu'il y avait suffisamment d'éléments factuels pour qu'elle le soit ; ni la justice américaine, qui a fait, et bien fait, son travail ; ni les medias, qui ont (lourdement, c'est vrai, mais exactement, m'a-t-il semblé) rendu compte de ce qu'ils ont vu et entendu ... Comme le dit, très justement, son avocat, "DSK a payé au prix fort une absence passagère de jugement".
Faut-il s'offusquer du "perp walk" ?
Beaucoup, en France, se sont émus de voir diffusées les images de DSK mal rasé, menotté et encadré par les policiers au moment de son premier passage devant le juge. Ces images n'auraient en principe pas été publiables en France.
Il me semble que le souci de la loi française de protéger les personnes, fussent-elles inculpées de crime, mais juridiquement "présumées innocentes", c'est-à-dire non déclarées coupables par un jugement, est louable et légitime. Cependant, dans le cas d'espèce, cela me semble très hypocrite (tout autant que les cris d'orfraie poussés par ceux qui voient dans ces règles une inacceptable limitation à la liberté de la presse, oubliant que la liberté de la presse ne justifie pas le mépris du respect des personnes). Je parierais d'ailleurs que les réactions d'indignation (que je suppose sincères) sont venues de personnes qui sont culturellement plus proches de DSK que de sa victime, et qui se sont donc plus facilement identifiées à lui qu'à elle.
Car in fine ce n'est pas l'image qui est choquante, et ce n'est pas elle qui a choqué : c'est l'arrestation, dans les circonstances qu'on connaît, de DSK, personne publique et ayant toutes les apparences de la respectabilité.
Il me semble sain que, s'agissant d'une personne ordinaire, la publication d'images de ce type, comme d'ailleurs de son nom, soit interdite : si, in fine, elle n'est pas condamnée, il est juste que la personne concernée reste dans l'anonymat dans lequel elle se trouvait auparavant. Mais s'agissant d'une personne publique, cela n'a pas de sens : l'inculpation de la personne en question étant nécessairement publique, et cette personne étant connue de tous, la publication de la photographie en question ne change rien à la situation. Et, vu d'aujourd'hui, la publication de ces images de DSK semble déjà bien anecdotique.
Par ailleurs, la loi américaine étant ce qu'elle est, il est juste qu'elle soit appliquée également pour tous, ce qui en l'occurrence a été le cas.
Cela dit, les images de ce "perp walk" ne me semblent nécessaires ni à la manifestation de la vérité, ni à la justice. Et on peut douter de leur effet dissuasif, qui est présenté comme leur raison d'être ...
Il est intéressant de noter que, aux Etats-Unis, c'est la publication par la presse française du nom de la victime qui a choqué, plus que les photos de DSK menotté. Ce qui traduit apparemment le fait qu'une plus grande attention est portée au respect de la victime présumée qu'à celui du coupable présumé.
La justice américaine : meilleure ou pire que la française ?
Beaucoup de commentateurs français, au moins dans un premier temps, ont disserté sur la prétendue supériorité du système judiciaire français sur l'américain.
Une des choses qui m'ont frappé, ce sont les efforts considérables déployés pour assurer la protection et l'anonymat de la victime présumée, avant qu'elle ne décide de s'exposer publiquement : je ne suis pas sûr que cela aurait été le cas en France.
Tout le monde a été bien évidemment frappé aussi par la guerre médiatique que se sont livrée les avocats des deux parties : mais il est probable que la même chose se serait produite en France.
On a constaté, et certains ont critiqué, l'extrême sévérité des mesures conservatoires prises par le juge au début de l'affaire vis-à-vis de DSK : auraient-elle été moins sévères en France ? Elles ne m'ont pas paru en tout cas si disproportionnées, compte tenu de la nature des faits dont il était accusé et des moyens dont il disposait, notamment pour échapper à un procès le cas échéant.
Il ne semble pas, par ailleurs, qu'un juge d'instruction puisse en France conclure à un non-lieu sur la base de l'intime conviction qu'un tribunal ne condamnerait pas l'inculpé, comme l'a fait le juge américain en l'espèce : c'est exclusivement sur l'existence ou l'absence de "charges suffisantes contre la personne mise en examen" qu'il doit fonder sa décision. Dans le cas DSK, au vu des éléments dont le juge semble avoir disposé, qu'aurait décidé un juge d'instruction français ?
On peut ainsi s'étonner, et regretter, que la décision du juge, sur proposition du procureur, de classer l'affaire, prive la plaignante de la possibilité de défendre sa cause devant un jury, même si ses chances de le convaincre "au-delà du doute raisonnable" étaient infimes.
A l'inverse, la procédure américaine donne une sorte de "seconde chance" à la plaignante, en dissociant totalement la procédure civile de la procédure pénale : ainsi, malgré l'abandon des poursuites pénales, elle pourrait obtenir, si elle emporte la conviction des jurés de la juridiction civile, un substantiel paquet d'argent, ce qui n'est pas rien, surtout quand on est pauvre. Et les montants dont il pourrait s'agir dépassent de loin ce qu'elle aurait pu obtenir devant une juridiction française.
On notera enfin que les critiques portées à la procédure américaine l'étaient principalement par les soutiens de DSK au début de l'affaire, et qu'elles le sont maintenant par ceux de Nafissatou Diallo ...
Au total, il me semble difficile, au vu de ce qui s'est passé jusqu'à aujourd'hui, de conclure dans un sens ou dans l'autre le débat sur la supériorité d'un système sur l'autre.
Quel impact sur les victimes de viol en général ?
Il se dit souvent, tant du côté des défenseurs de DSK que de celui des soutiens de Nafissatou Diallo, mais pour des raisons opposées (les mensonges de la plaignante d'un côté, la décision précipitée de non-lieu de l'autre), que l'affaire aura in fine porté préjudice aux victimes de viol, qui seront encore moins qu'avant enclines à porter plainte.
Elle aura en tout cas illustré la difficulté inhérente à ce type d'affaire : on doit éviter à tout prix de condamner un innocent (et, pour ma part, je crois juste de dire qu'il vaut mieux ne pas condamner un coupable que condamner un innocent) ; il faut donc des éléments de preuve suffisants ; mais comment apporter des preuves sur le contenu psychologique - puisqu'il s'agit de déterminer s'il y a eu ou non consentement - d'évènements qui se sont déroulés sans autre témoin que les protagonistes ?
Il n'est donc pas étonnant, ni anormal, que la crédibilité des protagonistes soit in fine l'élément déterminant pour convaincre un tribunal de l'existence d'un viol.
Ainsi, même si c'est indubitablement injuste, les chances d'une victime de viol de voir son agresseur condamné dépendent de son passé. Et c'est aussi le cas de l'agresseur présumé.
Je ne crois pas qu'on puisse en conclure que l'affaire DSK aura eu pour effet de dissuader des victimes de viol de porter plainte : au contraire, même si elle s'est traduite in fine par un non-lieu, elle a montré le sérieux avec lequel une telle plainte est traitée aux Etats-Unis, y compris lorsque l'agresseur présumé est un notable. Elle restera donc, à ce titre, une référence.
Commentaires de commentaires
D'une façon générale, j'ai l'impression que la quasi-totalité de ceux qui se sont exprimés sur l'affaire, soit pour attaquer DSK, soit pour le défendre, auraient mieux fait de se taire (sans doute devrais-je m'inclure dans le lot).
Certains commentaires m'ont personnellement attristé : ceux de Jean Daniel, de Robert ou Elisabeth Badinter par exemple. J'imagine qu'il était difficile, dans cette période, d'être un ami de DSK : le croyant innocent, pouvaient-ils se taire ? et je veux bien croire qu'il ne leur était pas possible de l'imaginer coupable. Ils ont donc dit ou écrit des choses tout bonnement inacceptables pour ceux qui, n'ayant pas de conviction sur la réalité ou l'irréalité des faits allégués, et s'obligeant même à ne pas en avoir, ne pouvaient que voir en DSK une personne suspectée de viol et mise en examen par un juge impartial, et en Nafissatou Diallo la victime présumée du dit viol - et tout cela sans aucune présomption de culpabilité ou d'innocence de l'un ou de l'autre. Leur émotion devant la prétendue violence judiciaire ou médiatique dont, à leurs yeux, DSK était la victime, sans doute justifiée par l'amitié, n'était tout simplement pas à la mesure de la retenue dont ils auraient dû faire preuve, compte tenu de leur notoriété et de leur autorité morale, eu égard à la possibilité de réalité des faits allégués.
Je passe sur les hypothèses de complot ourdi par l'Elysée ou par je ne sais qui : elles sont simplement ridicules.
Je passe aussi sur les réactions triomphalistes de certains (comme Jack Lang) à l'annonce de la décision de non-lieu : elles sont consternantes (comme d'ailleurs toutes les déclarations du dit Jack Lang depuis le début de cette affaire). Comme s'il s'agissait d'un match de foot, et que les supporters du vainqueur criaient tous ensemble "on a gagné !". Médiocre, imbécile et lamentable.
Et on reste ébahi par les élucubrations surréalistes et extravagantes, comme celles de Pascal Bruckner qui, ayant sans doute abusé de substances illicites, voit dans DSK, à qui l'envie a pris de "batifoler avec une autochtone" (sic), la victime expiatoire et symbolique de l'Amérique désireuse de punir la France "pour l'Irak, pour Roman Polanski [ndr : qui avait, lui aussi, été saisi d'une envie subite de "batifoler avec une autochtone"], pour les lois sur le voile" (re-sic) !
Dans l'ensemble, et malgré les précautions oratoires et, le plus souvent, l'intime conviction de leur auteur de sa propre neutralité, les commentaires de l'affaire traduisaient, dès le début déjà, un parti-pris plus ou moins inconscient (et je ne suis pas sûr d'avoir échappé à ce travers). Par exemple, pour ceux qui ont dit avoir été choqués par les images de DSK menotté : était-ce donc la première fois qu'ils voyaient les images d'un suspect menotté ? et auraient-ils réagi de la même façon s'il s'était agi d'un vulgaire présumé violeur venant d'une quelconque cité ? A l'opposé, combien sont ceux pour qui le fait que la plaignante soit noire et pauvre, et/ou l'inculpé riche, puissant et cavaleur, constituait a priori une présomption de culpabilité de DSK ? Et on a vu, à mesure du déroulement de l'enquête, à quel point les commentaires s'alignaient sur les déclarations des avocats de l'une et de l'autre, les uns insistant sur les mensonges de l'accusatrice, et les autres sur la sulfureuse réputation du présumé coupable, qui rendaient l'une ou l'autre a priori suspect ...
Et, bien entendu, la décision de non-lieu, loin de calmer les esprits, ne fait que conforter les convictions des uns et des autres : pour les uns, c'est la preuve de l'innocence de DSK et de la vénalité de son accusatrice ; pour les autres, c'est seulement la preuve de la puissance de l'argent ...
Où l'on retrouve les fondamentaux de ce qu'on appelait jadis (et même naguère) la lutte des classes ...
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