samedi 4 février 2012
Il faut lire "Le quai de Ouistreham"
Quand on a un travail, un logement, un revenu corrects, il faut lire Le quai de Ouistreham, de Florence Aubenas.
Ce livre nous en dit plus que tous les reportages télé sur une réalité humaine qui nous est toute proche et dont nous sommes si peu conscients : celle des "petites gens" qui cherchent du travail non pas pour vivre, ils en sont tellement loin, mais pour survivre ; qui cherchent non pas un emploi, ce serait tellement beau, ils se contentent d'en rêver parfois, mais des heures de travail ; qui comptent leur paie non pas en milliers d'euros, même pas en centaines, mais en dizaines ; qui font parfois trois heures de trajet pour deux heures de travail ; qui dépensent parfois en essence presque tout ce qu'ils gagnent par leur travail ...
Florence Aubenas s'est mise, réellement, sans faire semblant, dans la peau d'une de ces personnes sans qualification à la recherche d'un travail dans une ville de province (Caen en l'occurrence). Pendant plusieurs mois, elle a vécu leur vie, elle les a côtoyées, elle les a écoutées.
Sans pathos, elle nous montre simplement la réalité de ces gens, principalement des femmes, qui font "des heures" de ménage en espérant, un jour peut-être, décrocher un véritable emploi ; la fatigue, les petites hontes, les petites joies, ... Un "métier", si l'on peut appeler ainsi le travail des femmes et de ces hommes, où on a ici deux heures de ménage à l'aube, avant que les travailleurs ordinaires ne commencent leur journée, et là deux heures le soir, après qu'ils l'ont achevée, et quelques heures de temps en temps, et où il faut trouver le temps de manger, de dormir, sans parler de vivre ...
Elle nous montre les humiliations, les "petits chefs", les gens que vous croisez qui ne vous disent ni bonjour ni au revoir, parce qu'ils n'ont même pas remarqué que vous étiez une personne ...
Elle nous raconte encore la réalité de l'ANPE, la bureaucratie effrayante, la bonne volonté de certains parfois, l'inanité des efforts de tous le plus souvent, puisque tout le monde sait bien que, du travail, il n'y en a pas ...
Ce qui frappe aussi dans ce livre, outre cette réalité sociale dans sa crudité et sa noirceur, c'est une espèce de colère qui s'étouffe dans la résignation. Les femmes rencontrées par Florence Aubenas se laissent de temps en temps aller à rêver : d'acheter un scooter, d'avoir un enfant, de se faire soigner les dents, d'avoir un "vrai" travail ... Mais elles savent bien, au fond, que ça n'arrivera pas.
Et on comprend mieux pourquoi ce sous-prolétariat moderne, soit ne vote pas, soit vote Front National. Les politiques ? Ils n'ont jamais rien fait pour nous, et ils ne feront jamais rien, disent-ils - non sans raison sans doute. Les syndicats ? Ils s'occupent des ouvriers, de ceux qui sont de leur "famille". Mais nous autres, les sans-grades, ils nous méprisent, eux aussi, et nous n'existons pas plus pour eux que pour ceux pour qui nous travaillons. Alors, pour ceux qui ont encore l'envie et la force d'exprimer leur colère, il ne reste que le Front National. Pour avoir l'impression d'exister.
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