Deux événements me semblent être passés assez inaperçus ces derniers jours, qui pourtant en disent long sur notre société.
Depuis début mai 2011, le tirage du jeu Euro Millions, qui était hebdomadaire, est devenu bi-hebdomadaire. Dans le même temps, la Française des Jeux, entreprise publique, offre 5 jeux gratuits à tout nouvel abonné à son site internet. Ce n'est sans doute pas un hasard si ces opérations sont lancées peu de temps après la libéralisation des jeux d'argent en ligne (loi du 12 mai 2010).
Le fait que l'Etat organise des jeux d'argent, et soutienne leur développement, peut se comprendre : ils constituent une source de revenus non négligeable pour le Trésor Public. La Française des Jeux, à elle seule, reverse à l'Etat près de 30% du total des mises, qui ont représenté en 2010 10,5 milliards d'euros : ce sont donc 3 milliards d'euros qui passent presque spontanément, et apparemment sans douleur, du portefeuille des joueurs à celui de l'Etat. Pas tout à fait spontanément quand même, puisque la Française des Jeux a jugé utile, pour développer son business, conformément sans aucun doute à ce que lui a demandé son actionnaire principal, à savoir l'Etat, de distribuer des grilles gratuites pour attirer de nouveaux clients.
Le premier problème, c'est que les prélèvements de l'Etat sur les jeux d'argent portent non pas sur les plus riches, mais plutôt sur les plus pauvres. Certes, personne n'est obligé de jouer au Loto. Mais ces jeux (faible mise, gros gain potentiel) sont construits de telle façon qu'ils s'adressent essentiellement aux personnes à revenu modeste, qui y voient - à juste titre - une possibilité à leur portée de changer leur vie. Il est assez peu probable en revanche que Mme Bettencourt, pour qui le gain potentiel serait négligeable par rapport à sa fortune, passe ses soirées à remplir des grilles d'Euro Millions. Les jeux d'argent sont donc sans aucun doute, du fait des prélèvements de l'Etat, un facteur d'aggravation des inégalités de revenu (il est intéressant de noter par exemple que le taux de prélèvement sur les jeux est très supérieur au taux normal de la TVA, actuellement à 19,6 %).
Le second problème, bien plus grave, et qui constitue à mon sens un véritable scandale d'Etat, est que, comme chacun le sait, le jeu comporte un risque d'addiction important. A tel point que la même loi qui a libéralisé les jeux d'argent a prévu l'intégration des addictions aux jeux au dispositif de prévention et de prise en charge des addictions, dispositif conçu pour traiter des addictions à l'alcool et aux drogues ! La distribution de jeux gratuits comme moyen d'appâter le client, qui aura ensuite une chance (si l'on peut dire) non négligeable de devenir "accro", est en tous points semblable aux techniques utilisées par tous les business, légaux ou illégaux, de produits addictifs. Le fait qu'une telle distribution soit organisée par l'Etat ressemble à s'y méprendre au scandale qu'a constitué, jusqu'en 1986, la distribution gratuite, puis la vente détaxée, de cigarettes par l'armée aux conscrits (voir ici ) : l'Etat organise un dispositif produisant de la dépendance, profite des revenus du commerce entretenu par cette dépendance, et met en place parallèlement des instruments de politique publique pour soigner cette dépendance - instruments qui échouent bien évidemment à éviter ses conséquences les plus dramatiques.
Combien faudra-t-il de drames liés à l'addiction aux jeux pour qu'on mette fin à ce scandale que constitue l'incitation aux jeux d'argent entretenue par l'Etat ? A quand une "loi Evin" sur les jeux d'argent ?
Note sur la Française des Jeux
La Française des Jeux est une société nationale, détenue à 72% par l'Etat français. Les autres actionnaires sont les émetteurs historiques de la Loterie nationale (20% au total) : Union des blessés de la face et de la tête (9,2%), Fédération Maginot (4,2%), ISUD (2,6%), Confédération des débitants de tabac (2%), Mutuelle du Trésor (1%), Comalo (0,6%), Émissions Berger (0,4%) ; le FCP des salariés de la société (5%) ; et le groupement de courtiers Soficoma (3%).
Les mises des joueurs ont représenté en 2010 10,5 milliards d'euros. L'utilisation de ce montant se répartit approximativement ainsi : 60% sont reversés aux joueurs gagnants, un peu moins de 30% sont reversés à l'Etat ou à des organismes publics, et le solde, un peu plus de 10%, couvre les charges et les bénéfices de la société.
Merci beaucoup pour votre article traitant le jeu d'argent. En effet, Il s’agit d’un point qui m’intéresse beaucoup.
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