dimanche 15 septembre 2013
Le "mariage pour tous", et après ? (1ère partie)
(pour lire la 2ème partie)
La France, après un certain nombre d'autres pays, autorise désormais le mariage entre personnes du même sexe, ainsi que l'adoption d'enfants par les couples ainsi constitués. Pour ma part, je n'ai pas vu de raison sérieuse de m'y opposer - même si les arguments qui ont été avancés en faveur de cette évolution législative n'ont pas toujours été, loin de là, très convaincants.
Néanmoins, même si la cause est entendue, même si la messe est dite, si l'on peut dire, sur le mariage et sur l'adoption, il ne me semble pas inutile d'y revenir. Car il reste encore des questions à venir, en particulier sur la procréation médicalement assistée (PMA) et sur la gestation pour autrui (GPA).
La question de l'égalité
Un des arguments avancés par les partisans du "mariage pour tous" était celui de l'égalité entre tous les individus, quelle que soit leur orientation sexuelle et leur choix de vie. Je ne crois pas, pour ma part, qu'on doive le retenir.
L'article 1er de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 proclame que "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune". La Constitution française précise : "[La France] assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion". Elle n'a pas ajouté "sans distinction de sexe" : par prudence, et par réalisme, sans doute.
Peut-on ainsi déduire du principe d'égalité devant la loi que, puisqu'un homme a le droit d'épouser une femme, une femme doit le pouvoir aussi, ou inversement ? La réponse est juridiquement non : le fait que la loi réservait jusqu'à présent le mariage à un couple formé d'un homme et d'une femme n'était pas contraire au principe d'égalité tel qu'il est défini dans la Constitution. Dans un arrêt récent, le Conseil Constitutionnel a été très clair sur ce point : "Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général" (voir cet article). Et en l'occurrence, la différenciation faite par la loi entre l'homme et la femme concernant le mariage était jugée motivée par l'intérêt général.
La réponse est aussi, à mon sens, moralement non, pour la même raison que celle donnée par le Conseil Constitutionnel : si le mariage était réservé à des personnes de sexes opposés, c'est parce qu'on avait considéré jusqu'ici, à juste titre sans doute, que le mariage civil était l'organisation qui donnait les meilleures chances aux enfants, enfants que jusqu'à une date assez récente on ne savait fabriquer que par l'union d'un homme et d'une femme.
Et pour finir sur ce point, je n'aurais eu aucun état d'âme à ce que l'on refuse aux couples homosexuels le droit d'adopter des enfants, si j'avais été convaincu que cela pouvait en quoi que ce soit porter préjudice aux enfants en question. C'est un point essentiel, c'est même sans doute le seul point de cette loi qui puisse faire débat : j'y reviendrai.
Ce n'est donc pas le principe d'égalité qui légitime cette loi - pas plus qu'il ne légitimera l'extension de la PMA aux couples de femmes, ni l'autorisation de la GPA pour les couples d'hommes. Qu'est-ce donc alors ? Sans doute, celui de mettre la loi en accord avec l'évolution des mœurs, dès lors qu'il n'existe pas de "raisons d'intérêt général" pour s'y refuser. Sans doute aussi celui de montrer, une bonne fois pour toutes, que la société considère comme absolument légitime l'état d'union homosexuelle, et que par conséquent aucune forme de discrimination ou de stigmatisation de l'homosexualité ne peut à l'inverse être considérée comme légitime.
La question de l'homosexualité
Il est évident - il suffisait d'écouter les gens autour de soi pour l'entendre, même si beaucoup d'entre eux ne voulaient pas l'admettre - qu'une part importante de ceux qui ont milité contre le "mariage pour tous" étaient mus principalement par un rejet, intellectuel ou viscéral, conscient ou inconscient, de l'homosexualité.
Ce rejet, dès lors qu'il est conscient, est imbécile, inexcusable, et parfois criminel, chez les plus jeunes - mais il y est sans doute assez largement minoritaire. Il est plus compréhensible, sinon plus admissible, chez les plus âgés, dont beaucoup ont été nourris de l'idée que l'homosexualité était une tare dont il fallait se débarrasser, une maladie honteuse qu'il fallait cacher à défaut de savoir la soigner, ou à tout le moins une inclination "contre nature".
N'oublions pas que Voltaire, par exemple, qualifiait l'homosexualité d'"attentat infâme contre la nature", d'"abomination dégoûtante", et de "turpitude". Qu'en Angleterre, jusqu'en 1861 au moins, l'homosexualité pouvait être punie d'une peine de dix ans de prison. Que l’Église catholique, dans un document publié en 1986 par la Congrégation pour la doctrine de la foi, écrivait encore : "Bien qu'elle ne soit pas un péché, l'inclination particulière de la personne homosexuelle constitue une tendance, plus ou moins forte, vers un comportement intrinsèquement mauvais du point de vue moral". Qu'enfin il existe encore, selon Wikipedia, 88 pays dans le monde qui condamnent les auteurs d'actes homosexuels à des peines plus ou moins importantes.
En ce sens, le fait que la loi reconnaisse les mêmes droits aux couples homosexuels et aux couples hétérosexuels est un pas supplémentaire vers la reconnaissance par la société de l'homosexualité comme un fait social et humain qui ne relève ni des catégories du normal et de l'anormal, ni de celles du moral et de l'immoral.
La question de la laïcité
Plus encore, peut-être, que par la question de l'homosexualité, le débat sur le mariage homosexuel a été pollué par l'interférence ente la norme sociale et la norme religieuse.
L’Église catholique(1) en tant qu'institution s'est clairement engagée contre la loi sur le mariage homosexuel. Bien entendu, elle s'est efforcée de ne pas laisser penser qu'elle le faisait soit pour des motifs liés à une vision régressive de l'homosexualité, soit pour des motifs purement religieux : elle s'est efforcée au contraire de s'appuyer sur des considérations principalement tirées de la morale commune. Elle n'y est pas toujours parvenue.
Je laisse de côté les sornettes, qu'on a entendu répéter un nombre incalculable de fois sous des formes diverses, y compris par les plus hauts responsables catholiques français comme le cardinal Barbarin, selon lesquels la légalisation du mariage homosexuel "ouvrirait la voie à la polygamie et à l'inceste". Pourquoi pas, tant qu'on y est, au mariage avec une chèvre ?
D'autres arguments mis en avant par les autorités catholiques, bien que plus sérieux, nous ont parfois ramenés des années en arrière, montrant que leur Église n'en a pas fini avec la diabolisation de l'homosexualité. Ainsi le cardinal André Vingt-Trois déclarait, le 13 juin 2011 : "On ne voit pas très bien quel est le profit qu’ils [les homosexuels] en tirent [d'une loi autorisant le mariage homosexuel] sinon une légitimation publique de leur état de vie et de leur préférence sexuelle". Ainsi, pour le cardinal, l'union hétérosexuelle et la préférence hétérosexuelle doivent bien être reconnus comme les seuls légitimes aux yeux de la société.
Les déclarations de l'ancien pape Benoît XVI sur ce sujet ne sont pas moins intéressantes, par exemple celle-ci : "La structure naturelle du mariage doit être aussi reconnue et promue, c’est-à-dire l’union entre un homme et une femme, face aux tentatives de la rendre juridiquement équivalente à des formes radicalement différentes d’union qui, en réalité, la dénaturent et contribuent à la déstabiliser, éclipsant son caractère particulier et son rôle social irremplaçable". Le pape ne dit pas que la loi civile doit se plier à la norme de la loi religieuse : cela ne serait évidemment pas admis. Son propos est plus subtil, mais le résultat est le même : si le mariage est l'union d'un homme et d'une femme et rien d'autre, c'est parce que c'est la loi naturelle. Et puisque c'est la loi naturelle, la loi civile comme la loi religieuse ne peuvent faire autre chose qu'en prendre acte.
Et si le pape est trop fin pour justifier son refus du mariage homosexuel au nom d'une norme qui ne serait que religieuse, ses vicaires le sont parfois moins : ainsi, Mgr Michel Aupetit, évêque auxiliaire de Paris, déclarait ceci, dans un interview à propos de la position de son Église sur le projet de loi : "Homme et femme, Dieu créa l’humanité à son image [...]. C’est la signification du sacrement de mariage dans laquelle Dieu s’engage". La boucle est ainsi refermée, et le message d'une simplicité ... biblique : les catholiques doivent s'opposer à une loi autorisant le mariage homosexuel parce que ce n'est pas ce que Dieu a voulu. On n'est pas si loin de la charia.
Le poids de l'histoire
La confusion entre le mariage religieux, qui est d'abord, au moins pour les catholiques, un sacrement, et le mariage civil, qui est avant tout une norme juridique impliquant un certain nombre de droits et d'obligations, est en quelque sorte consubstantielle au mariage civil, au moins dans le christianisme. Il faut en effet se souvenir que, "jusqu'à la Révolution française et à la loi de 1792 créant le mariage civil, codifié par le Code Civil en 1804, seul existait en France le mariage religieux célébré dans les paroisses (imposé par l'Ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 et formalisé par le Concile de Trente en 1562). Avec le Concordat de 1801, l’Église catholique a accepté non seulement le mariage civil mais aussi qu'il soit célébré, en Mairie, avant le mariage religieux, estimant probablement que l'importance apportée par la quasi unanimité des familles à la cérémonie religieuse permettait l'ambiguïté de l'appellation unique"(2).
Cette confusion est savamment entretenue. Mais les autorités religieuses n'en sont pas les seules responsables : elle est aussi entretenue par la société elle-même. Car même si chacun comprend bien la distinction entre le mariage civil et le mariage religieux, les deux cérémonies ne sont-elles pas, bien souvent encore, célébrées dans la foulée l'une de l'autre, traduisant implicitement le fait qu'il s'agirait bien, au fond, d'un même événement, "béni" successivement par les autorités civiles et par les autorités religieuses ? Il me semble ainsi que cette proximité culturelle entre le mariage civil et le mariage religieux, proximité renforcée par l'"appellation unique" de mariage, a contribué à faire apparaître comme étrange l'idée d'un mariage entre personnes du même sexe.
Il est amusant de constater que les autorités religieuses semblent n'avoir pas compris (à moins que ce ne soit précisément ce qui les chagrine ?) que cette loi pouvait justement contribuer à mettre fin à l'ambiguïté, née en 1792, entre mariage religieux (chrétien) et mariage civil, et qu'elle était donc l'occasion pour elles de redonner toute son importance au mariage religieux. Au moins le mariage homosexuel devrait échapper, probablement pour longtemps encore, à cette confusion du civil et du religieux(3).
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(1) L’Église catholique était loin d'être isolée : les autorités juives par exemple, par la voix de leur ex-grand rabbin Gilles Bernheim, n'étaient pas en reste (le fait qu'une partie importante de son texte sur le sujet soit un plagiat n'y change pas grand chose). Les musulmans (plus discrètement néanmoins) et les protestants (encore plus discrètement, me semble-t-il) ont également manifesté leur opposition. Ce n'est évidemment pas un hasard si les oppositions les plus vives provenaient de ceux pour qui le mariage est le plus "sacré" au sens religieux du terme.
(2) Pierre Rastoin, Mariage civil - mariage religieux
(3) A moins que les Églises, pour montrer qu'elles ont à jamais renoncé à tout ostracisme vis-à-vis de l'homosexualité, ne décident par exemple d'organiser des bénédictions d'unions homosexuelles ? Rien, me semble-t-il, ne s'y opposerait. De timides pas ont déjà été faits en ce sens par l’Église catholique pour les remariages de divorcés (voir par exemple ici) : pourquoi pas pour les couples homosexuels ? Ne serait-ce pas un joli retournement de l'histoire que les Églises, pour une fois, marchent dans les pas de la société civile ?
(2ème partie)
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